La prise en charge du sida à Petté, Cameroun

299 personnes sous trithérapie

Von Anne-Marie Schönenberger

Le premier cas de sida a été diagnostiqué en 1989. Depuis, nous n’avons cessé de nous préoccuper du sort des malades dépistés.

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Les actions de lutte contre le sida se multiplient dans l’ensemble du Cameroun et dans la province de l’Extrême Nord. Les directives du Ministère de la Santé et du Comité National de Lutte contre le Sida, par l’intermédiaire du Groupe Technique Central, se précisent dans des documents standard mis à disposition. Des efforts sont faits pour appliquer ces directives sur le terrain et de nombreux échanges de coordination sont organisés.

Avec une prévalence de 15-18%, les besoins de prises en charges des personnes vivant avec le virus du sida (PVVS) sont énormes. Actuellement les centres de prises en charge sont concentrés dans la capitale Yaoundé et à Douala, dans les chefs lieux des 10 provinces. Il est à espérer que les centres de traitement vont se multiplier.

A Petté, la prévention de la transmission mère enfant du VIH a été notre première priorité : l’administration de Nevirapine à la mère séropositive et au nouveau-né a été systématique. Certains malades ont pu être mis sous mono-, puis bi-thérapie ; tous ont été enregistrés. En janvier 2002 l’acquisition d’un Facs count a permis la détermination des lymphocytes CD4 et un premier projet de prise en charge de 250 PVVS a vu le jour pour une durée de trois ans. C’est ainsi que le 1er janvier 2002, 153 malades fidélisés depuis 1989 ont pu être inclus dans le projet de prise en charge des PVVS dans le centre de traitement agréé de Petté.

Intégration du projet dans le contexte local

Un comité local de lutte contre le sida a été créé: La Groupe d'Initiative Communautaire « Haïrou Petté » financé par le Groupe Technique Provincial. Le personnel médical de l’hôpital de Petté a assuré l’encadrement technique. Un local a été attribué au comité en question dans l’enceinte de l’hôpital. Presque tous les villages du canton de Petté ont bénéficié de séances de sensibilisation et d’information.

De nombreuses tables rondes sur le sida ont été organisées avec les jeunes et les femmes. Des proprojections de film ont animé le tout (émissions « Temps présent »). Les points de vente de préservatifs ont été multipliés. Deux sketchs sur le dépistage volontaire lors des mariages précoces et des consultations prénatales ont été mis au point par les femmes de l’Espace Avenir Femmes de Petté. Ces présentations connaissent un vif succès.

Fonctionnement du centre de traitement agréé

Toutes les activités du centre de traitement agréé (CTA) se font de manière intégrée dans le déroulement des activités de l’hôpital. Il n’y a pas de consultations particulières pour les problèmes du sida, il n’y a pas de salle d’hospitalisation particulière pour les personnes vivant avec le virus du sida.

Dépistage : Le dépistage se fait conformément à l’organigramme national, après counselling pré-test : le premier test pratiqué est le HIV Determine (laboratoires Abbott) et la confirmation se fait par Bispot (laboratoires Organics). Le résultat disponible en une heure est annoncé au consultant par le médecin traitant. En cas de test négatif : counselling post test. En cas de test positif, la prise en charge de la PVVS peut commencer.

Consultation psychosociale : Toute personne vivant avec le virus du sida est informée sur la maladie, sa transmission, son évolution. Chacun est invité à une bonne adhésion, à une observance de 100%. Chaque PVVS est mis en garde contre les méfaits des prises de produits indigènes ; une bonne prise de conscience doit normalement aboutir au dépistage du conjoint et des enfants en dessous de quatre ans, à l’adoption d’une mesure contraceptive, de préférence le port du condom. Lors des entretiens, une personne de la famille ou un ami désigné participe à l’information.

Une enquête sociale est menée selon un formulaire à remplir et une grille d’indigence en résulte. Un dossier « papier » est établi qui correspond aux formulaires du logiciel Fuchia de MSF (patient form et follow up), avec une première feuille de synthèse familiale suivi d’une feuille de synthèse des divers paramètres biologiques et radiologiques. Le dossier psychosocial est également joint.

Un dépliant d’information générale en français est remis aux patients. Il reprend les informations données, mais permet la relecture tranquille et l’échange avec des amis.

Il nous a paru très important de constituer un dossier pour toute personne vivant avec le virus du sida: en effet le suivi d’une personne positive à surveiller tout simplement nous semble très important : il permet de fidéliser la PVVS et de proposer la mise sous traitement ARV dès que les paramètres cliniques et la numération des CD4 le demandent.

Première consultation médicale avec anamnèse, examen physique, demande de bilan de laboratoire, y compris les CD4. Les critères nationaux sont appliqués pour déterminer les stades cliniques et biologiques CDC. La PVVS se retrouve donc en catégorie « Surveillance » avec une date de nouveau rendez-vous pour le suivi des CD4 ou dans la catégorie ARV, si l’indication médicale est là pour débuter la trithérapie.

Dans ce dernier cas, un bilan de prétraitement est demandé (FSC, glycémie, urémie, GPT, RPR, AgHBs, HVC, RX poumons, éventuellement test de grossesse). Rappelons ici que les résultats sont disponibles le même matin, ceci afin d’éviter des hébergements improvisés ou de longs et coûteux voyages pour nos consultants.

Comité thérapeutique: Il s’agit dans notre petite formation hospitalière des deux médecins, éventuellement d’un infirmier accompagnateur, de la responsable de la consultation psychosociale. Le comité se réunit si nécessaire en fin de matinée de consultations. Les dossiers à problèmes sont examinés, les capacités d’adhésion réévaluées ainsi que le score d’indigence retenu. Les décisions prises sont communiquées au patient. En ce qui concerne les personnes vivant avec le virus du sida sous ARV hospitalisées, le comité thérapeutique revoit l’ensemble des dossiers chaque vendredi soir.

Dossier médical: Toutes les données du dossier « papier » sont saisies quotidiennement en informatique avec le logiciel Fuchia version 1.4. de MSF. A tout moment un rapport général, un rapport ARV ou une feuille de synthèse individuelle peuvent être édités, pour l’ensemble des personnes vivant avec le virus du sida dépistés ou par cohortes. Les cohortes sont arrêtées tous les six mois, afin de pouvoir suivre l’évolution des PVVS au cours des années ; nous avons ainsi depuis janvier 2002 les cohortes A, B, C, D etc. L’exportation de ces données vers un fichier Excel permet d’affiner encore les analyses.
Suivi des PVVS sous ARV : Dans la mesure du possible, le conjoint ou les conjoints et les enfants de moins de quatre ans sont testés et suivis si nécessaire. Les dossiers de tous les membres de la famille séropositifs sont classés ensemble : c’est le dossier familial, qui permet au médecin traitant de revoir la situation de l’ensemble de la famille. Les patients sont revus tous les mois ou au maximum après trois mois. Les bilans de contrôles sont faits tous les six mois. Le score d’indigence est revu en général après les six premiers mois de traitement. En cas de difficultés d’adhésion, de mauvaise observance, une nouvelle consultation psychosociale est organisée.

Comité d’éthique: Le comité est appelé à se prononcer sur toutes les dérives : non respect des protocoles, abandon de traitements par des PVVS pour se soumettre à des traitements non éprouvés, circulation illicite des ARV. Pratiquement, nous cherchons à rester en contact avec les autres centres de prises en charge, nous échangeons nos expériences ou nous signalons les irrégularités rencontrées. Il est déplorable de voir que la situation de détresse des PVVS peut être exploitée par des gens irresponsables.

Protocoles de traitements

Les produits ARV sont toujours disponibles à la centrale nationale des médicaments à Yaoundé. Les protocoles thérapeutiques retenus sont ceux déterminés par le ministère de la b> Toutes les données du dossier « papier » sont saisies quotidiennement en informatique avec le logiciel Fuchia version 1.4. de MSF. A tout moment un rapport général, un rapport ARV ou une feuille de synthèse individuelle peuvent être édités, pour l’ensemble des personnes vivant avec le virus du sida dépistés ou par cohortes. Les cohortes sont arrêtées tous les six mois, afin de pouvoir suivre l’évolution des PVVS au cours des années ; nous avons ainsi depuis janvier 2002 les cohortes A, B, C, D etc. L’exportation de ces données vers un fichier Excel permet d’affiner encore les analyses.

Suivi des PVVS sous ARV : Dans la mesure du possible, le conjoint ou les conjoints et les enfants de moins de quatre ans sont testés et suivis si nécessaire. Les dossiers de tous les membres de la famille séropositifs sont classés ensemble : c’est le dossier familial, qui permet au médecin traitant de revoir la situation de l’ensemble de la famille. Les patients sont revus tous les mois ou au maximum aprènté et le Comité National de Lutte contre le Sida. Le traitement de première intention est le Triomune (lamivudine, stavudine et névirapine des laboratoires Cipla) - un comprimé matin et soir. Dans l’ensemble ce traitement a été bien supporté, avec peu d’effets secondaires importants si l’on prend garde d’administrer la névirapine à moitié dose durant les 15 premiers jours.

Avec la mise en route du traitement, les affections opportunistes disparaissent rapidement. Trois patients seulement ont du passer en traitement de deuxième intention (AZT, DDI et Crixivan) pour échec clinique et biologique. En cas de tuberculose confirmée associée, priorité est donnée au traitement antituberculeux. Si le traitement par ARV doit impérativement être institué, nous administrons alors AZT, lamivudine et efavirenz.

Résultats obtenus

Situation de l’ensemble des personnes vivant avec le virus du sida au 31 décembre 2003:

Total PVVS 917 100%
Sous surveillance 366 40%
Sous trithérapie 289 31%
Décédées 146 16%
Disparues (plus de 6 mois) 97 11%
Référées 19 2%

Augmentation moyenne des CD4 et du poids au 31 décembre 2003:

Cohorte Augmentation CD4 Augmentation du poids
A 117 3 kg
B 178 7 kg
C 159 8 kg
D 243 6 kg
E pas encore disponible pas encore disponible

Les principales difficultés rencontrées sont les suivantes:

Dépistage et prises en charge tardifs : d’où le pourcentage élevé de décès. Une seule proposition : information large, sensibilisation, dépistages volontaires et suivis des PVVS permettant la mise en route du traitement au moment adéquat.

Adhésion et observance qui laissent à désirer : les retards dans les prises de médicaments sont trop fréquents. La première cause en est le prix élevé des produits et des contrôles de laboratoire : Il en résulte des difficultés financières à long terme qui ont été insuffisamment évaluées lors du premier contact. La deuxième cause en est une adhésion insuffisante de la part du malade par suite d’explications trop rapides, d’échanges pas assez personnalisés. La mise en place systématique de la consultation psychosociale devrait améliorer l’adhésion.

Prix élevés des traitements et des bilans : Le prix du traitement mensuel a diminué au Cameroun durant ces deux années : le traitement de première intention s’élève actuellement à 15 000 CFA (37,5 CHF). La numération des CD4 revient à 15 000 également, avec la méthode de cytométrie en flux (Facs Count de Becton Dickinson).

Surcharge de travail pour l’équipe médicale de l’hôpital : Les consultations se font de manière intégrée dans les consultations générales quotidiennes, évitant ainsi toute discrimination. Nous cherchons à référer le plus possible de patients une fois le bilan initial achevé : les CTA de la Province de l’Extrême Nord sont encore trop peu nombreux (Hôpital Provincial et Hôpital de Petté).

Perspectives

Nous cherchons à améliorer l’observance des patients pour obtenir de meilleurs résultats et éviter au maximum l’apparition de résistances. Les consultations de suivi psychosocial seront multipliées et le suivi informatique des jours de traitement manqués permettra de mieux chiffrer le problème et donc de l’analyser.

La prise en charge des cohortes A, B, C, D et E est encore assurée pour 2004. Par la suite ces cohortes bénéficieront de la baisse annoncée du prix des ARV (5 000 CFA par mois au lieu de 15 000 actuellement) mais toujours attendue. Nous espérons pouvoir baisser le prix des bilans de laboratoire avec l’acquisition de l’appareil Cy-Flow de Partec. Cette méthode de cytométrie en flux permet la numération des CD4 (ou des CD8, CD3) plus rapidement (environ 20 minutes), avec moins de réactifs (l’eau étant la solution de flux). Une analyse ne revient plus qu’à 5 000 CFA (12.5 CHF). En un premier temps des analyses comparatives des résultats ont été faites : le coefficient de corrélation a été de 0,965 pour 110 analyses menées avec les deux appareils.

Les cohortes ne font qu’augmenter en nombre : la cohorte F (1.1.04 -30.6.04) est déjà à 193 en ce jour (17 avril). Notre cohorte totale de PVVS suivis est donc de 1110, avec 299 personnes sous trithérapie. Comment continuer à faire face ?

*La Dresse Anne-Marie Schönenberger est médecin-chef de l’hôpital de Petté au Nord du Cameroun. L’hôpital est soutenu par la Fondation Sociale Suisse du Nord-Cameroun, Ch. du Champ-Rond 1, 1010 Lausanne, membre du Réseau Medicus Mundi Suisse. Contact: hopitalpette@braouz.net. L’hôpital de Petté est un hôpital général de soins curatifs (médecine, chirurgie, maternité, pédiatrie, ophtalmologie) avec 150 lits, ouvert en 1968. L’hôpital, qui est un centre agréé de prise en charge des personnes vivant avec le virus du sida, inclut un centre de médecine préventive (15 postes de protection maternelle et infantile, vaccinations, éducation nutritionnelle, planning familial, prévention des MST, Sida) et un centre de promotion de la santé.