Intégration du secteur non-étatique dans le système de santé

L'apport de la société civile et des services de santé non-étatiques à la santé publique

Von Jean Perrot

La construction entre les organisations non-étatiques, qui fournissent des services de santé, et les ministères de la santé ne demande pas seulement un contrat juridique, mais une stratégie de la contractualisation bien élaborée.

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Les mots-clefs de la présentation, «société civile» et «services de santé non-étatiques» peuvent être "intrigants": Les définitions de la notion de «société civile» sont nombreuses mais ne font pas toujours consensus. Sans polémiquer, retenons que, par société civile, on entendra les organisations non-étatiques qui animent la vie publique et défendent les intérêts et les valeurs de leurs membres: on retrouve ainsi les syndicats, les ONG, les associations, les organisations communautaires (y compris mutuelles de santé), les églises. Les «services de santé non-étatiques» mettent en jeu plusieurs notions. Tout d'abord, nous retiendrons que le non-étatique exclut le privé lucratif; sinon, et si l'on considère simultanément la question de la société civile, cela reviendrait à considérer que le privé lucratif fait partie de la société civile (ce que certains acceptent d'ailleurs, mais que nous n'accepterons pas ici). Ensuite, la notion de "services" peut être entendue de deux façons différentes. Lorsque l'on parle des biens et des services, on entend par ces derniers les biens immatériels résultant d'activités menées par des prestataires. Mais lorsque l'on parle des services de santé, on entend souvent les organisations chargées de mener des activités dans le domaine de la santé. Cette dernière vision est encore renforcée lorsque l'on y adjoint le terme de "non-étatiques"; on ne comprendrait en effet pas bien ce que serait un service vu comme un bien immatériel non-étatique.

En conséquence, si l'on essaie de rassembler toutes ces considérations, on peut s'entendre pour dire que l'objet de la présentation, ce sont les organisations non-étatiques (mais non lucratives) qui fournissent des services de santé, c'est-à-dire des activités ayant un lien (proche) avec la santé.

Relation publique – privé

"Public et privé doivent collaborer à la santé des populations". Il n'y a en effet plus beaucoup de voies pour dire qu'il faut interdire le secteur privé. Par conséquent, public et privé sont présents, à des titres divers, mais sont présents dans pratiquement tous les pays. Il est par ailleurs de bon ton d'affirmer qu'ils doivent collaborer à la santé des populations. Mais concrètement qu'est-ce que cela signifie? Collaborer peut signifier que chacun, de son côté, apporte tout ce qu'il peut pour améliorer la santé des populations; dans ce contexte, public et privé vivent dans des univers étanches. Mais de plus en plus, collaborer signifie que public et privé doivent se concerter et s'entendre dans la réponse qu'ils apportent aux problèmes de santé des populations. Ces belles déclarations d'intention, de la part du public comme du privé, ne sont pas nécessairement suivies d'effets. Mauvaises volontés? Non, bien souvent c'est parce que les problèmes pratiques de mise en œuvre l'emportent sur les bonnes volontés. Nous voudrions ici expliciter certains de ces problèmes pratiques et présenter des voies de solution pour les lever.

Il est important tout d'abord de considérer que ces activités de santé peuvent être réalisées à partir d'une formation sanitaire (centre de santé, dispensaire, hôpital, clinique, etc.) ou en dehors de toute formation sanitaire. Cette distinction peut paraît anodine, voire triviale. Pourtant, nous allons voir qu'elle a toute son importance.

Supposons maintenant que ces prestataires de services de santé et le ministère de la santé (ou une collectivité locale) souhaitent s'entendre pour la réalisation d'activités, c'est-à-dire de services de santé. Cette entente sera formalisée dans un accord, c'est-à-dire dans un contrat qui stipule les engagements des deux parties en présence.

Un contrat – mais avec qui?

Dans le cas où ces activités sont réalisées en dehors d'une formation sanitaire (ou plus largement de tout établissement), la situation est simple: le contrat est établi entre le Ministère de la Santé d'une part et l'institution qui réalise les activités, objet du contrat, d'autre part. Cette institution sera une ONG, une association, une fondation, un groupement communautaire, une Église, une mutuelle de santé, etc. pour autant que cette institution soit dotée d'une personnalité morale définie dans le droit du pays considéré. Il s'agit donc d'un contrat de services dans lequel les parties en présence se mettent d'accord sur les modalités de réalisation des activités et de la responsabilité de chacun.

Dans le cas où ces activités sont réalisées à partir d'une formation sanitaire, les choses se compliquent. On est alors en présence de trois acteurs: d'un côté, le Ministère de la Santé, et de l'autre côté, un établissement et une institution. L'établissement, c'est la formation sanitaire qui est chargée techniquement de réaliser les activités, objet du contrat. Très généralement, cet établissement n'est pas doté d'une personnalité morale spécifique. Cette personnalité morale est à chercher au niveau de l'institution "propriétaire" de l'établissement. Cette institution peut être une ONG, une association, une fondation, un groupement communautaire, une Église, une mutuelle de santé, etc. On a donc d'un côté l'institution qui détient la personnalité morale mais qui n'est pas l'acteur qui réalise concrètement les activités et de l'autre l'établissement qui réalise les activités mais qui n'a pas de personnalité morale propre. Dans cette situation, il est clair que seule l'institution détient le pouvoir de signer un contrat avec le Ministère de la Santé. Dans un certain nombre de cas, cette situation pourra fonctionner sans difficulté. Mais dans d'autres cas, elle pourra poser des problèmes. Le signataire du contrat (l'institution) n'est pas nécessairement bien armé pour comprendre l'enjeu du contrat avec le Ministère de la Santé et, d'autre part, l'établissement, qui lui comprend l'enjeu du contrat, n'est pas signataire du contrat et par conséquent n'engage pas sa responsabilité.

Afin d'éviter ces problèmes, il y a plusieurs solutions:

• Afin que les responsables des institutions, qui ne sont pas nécessairement au faite des termes du contrat, puissent néanmoins jouer leur rôle de responsable et signer le contrat en toute connaissance de cause, il est possible de sensibiliser ces responsables. C'était l'approche adoptée par Medicus Mundi International dans les conférences de Kampala (Conférence des Évêques de l'Afrique anglophone, Kampala, 22 - 24 mars 2004) et de Cotonou (Conférence des Évêques francophones et lusophones d'Afrique, Cotonou, 31 mai au 2 juin 2005); ces conférences avaient pour objectif principal de sensibiliser les Évêques, qui sont les signataires des contrats engageant les établissements dépendant d'eux, à la contractualisation.

• La seconde solution consiste à ce que le contrat soit signé d'une part par le représentant de l'institution et d'autre part par le représentant de l'établissement. Cette solution permet de s'assurer que les deux parties du côté de la prestation sont impliquées. Il va sans dire que cette solution ne résout pas tous les problèmes puisque, juridiquement parlant, seule l'institution demeure responsable. L'avantage de cette formule est qu'elle permet à celui qui mettra en œuvre le contrat sur le terrain sera impliquer dans toutes les phases du contrat.

• La troisième solution se déroule en deux temps. Le premier temps est celui de la création d'une association de gestion de l'établissement sanitaire. Cette association sera vraisemblablement largement contrôlée par l'institution "mère" en ce sens que ses adhérents seront largement sous l'influence de cette institution. Pourtant, d'un point de vue juridique, cette association est dotée d'une personnalité morale propre. Elle n'a donc plus besoin d'obtenir la signature de l'institution-mère pour le contrat avec le Ministère de la Santé. Cette séparation des rôles est sans doute la meilleure solution. L'institution peut faire prévaloir ses orientations au travers du contrôle de l'association mais elle n'intervient pas dans le management régulier de l'établissement. Ce dernier prend ses responsabilités au travers de l'association de gestion. C'est ainsi que fonctionne, par exemple, l'enseignement confessionnel en France: chaque établissement est dirigé par une association de gestion, laquelle signe le contrat d'association avec l'État. L'objet de la relation contractuelle entre le Ministère de la Santé et un établissement doit également être pris en compte. Trois situations peuvent se présenter:

• Le Ministère de la Santé, propriétaire d'une formation sanitaire, décide d'en confier la gestion à une institution non étatique. Ce type de gestion déléguée correspond à ce qui est répertorié sous les appellations de "concession" ou d'"affermage" dans les droits d'obédience française et de "Build, Operate and Transfer (B.O.T.)" ou de "lease contract" dans les droits d'obédience anglaise. Les termes du contrat définiront les rôles deux acteurs, mais globalement l'institution non étatique agira au nom du Ministère de la Santé et devient responsable des activités menées. Elle devra en rendre compte au Ministère de la Santé. Par ailleurs, il ne s'agit pas d'un désengagement de la part du Ministère de la Santé; celui-ci reste le responsable final, notamment aux yeux des populations.

• L'institution, propriétaire de sa formation sanitaire, souhaite mieux associer celle-ci au Ministère de la Santé, notamment pour mieux l'inscrire dans la participation à la mission de service public. L'institution dispose bien sûr déjà d'une accréditation, c'est-à-dire d'une reconnaissance, de l'établissement par le Ministère de la Santé. Au travers d'un contrat, les deux parties souhaitent aller plus loin dans leurs relations. Le Ministère de la Santé veut faire en sorte que l'établissement privé non étatique le représente dans la carte sanitaire et pour cela il accordera certains avantages (subventions, non imposition, détachement de personnels, etc.). De son côté, l'établissement non étatique s'engage à conduire toutes les activités de la même manière qu'un établissement public.

• L'institution, propriétaire de sa formation sanitaire, signe un contrat avec le Ministère de la Santé pour la réalisation de certaines activités seulement. L'établissement continue donc de fonctionner selon les modalités qui prévalaient au moment du contrat; ce dernier ne porte que sur la réalisation d'activités spécifiques et clairement définies dans le contrat de services.

La volonté de collaboration insuffisante

Ces aspects, à première vue, purement techniques se révèlent souvent d'une grande importance. En effet, la volonté de collaboration ou plus largement d'entente entre le Ministère de la Santé et les prestataires de services de santé non-étatiques n'est pas toujours suffisante pour déboucher sur une concrétisation avec un contrat signé clairement établi. On pourrait évoquer ici des exemples de négociations qui ont débuté au niveau technique entre le Ministère de la Santé et l'établissement et qui finalement ne voient pas le jour parce que l'on se rend compte à un moment donné que ceux qui ont pouvoir de signer n'ont pas été impliqués dans la phase de négociation.

La situation se complexifie encore lorsque l'institution est propriétaire de plusieurs établissements, ce qui est assez fréquent. Si l'on applique l'approche ci-dessus, cela signifie que le Ministère de la Santé et l'institution signeront autant de contrats qu'il y a d'établissements. Chacun de ces contrats comporteront des parties semblables et des parties spécifiques afin de tenir compte de la réalité de chaque établissement. Cette solution est sans doute lourde et, en outre, elle ne prend pas bien en compte la séparation entre la vision stratégique qui se situe au niveau de l'institution et les aspects techniques et gestionnaires qui se situent au niveau de chaque établissement.

Une solution possible, telle que celle qui a été retenue par l'Association des œuvres médicales privées confessionnelles et sociales (AMCES) au Bénin, consiste au montage suivant:

En premier lieu, l'établissement d'une convention-cadre entre le Ministère de la Santé d'une part et l'institution responsable de plusieurs établissements d'autre part. Cette convention-cadre comprendra les orientations générales de l'accord, les principes généraux acceptés par les deux parties, certains aspects qui s'appliqueront à tous les établissements relevant de cette institution. La signature de cette convention-cadre est de la responsabilité de l'institution, représentant l'ensemble des établissements;

En second lieu, et en s'appuyant sur cette convention-cadre, l'établissement d'un contrat spécifique pour chacun des établissements. Ces contrats définiront les points spécifiques à chacun des établissements. Il y aura alors autant de contrats qu'il y a d'établissements souhaitant avoir un contrat avec le Ministère de la Santé. Un des avantages de ce type de contrat est qu'il n'y a pas à renégocier tous les points qui auront été négociés au niveau de la convention-cadre. Ces contrats seront alors signés au niveau des établissements soit par délégation de signature de la part de l'institution-mère soit par l'association de gestion si celle-ci existe.

Une telle solution présente l'avantage de bien séparer la fonction d'orientation politique qui relève de l'institution de la fonction technique et gestionnaire qui concerne le prestataire des services de santé, c'est-à-dire l'établissement.

A la base de tout ce qui précède, il y a les préalables suivants:

D'un côté, le Ministère de la Santé doit avoir pris conscience qu'il ne pouvait pas tout faire ou qu'il ne devait pas tout faire. La nuance est importante. Si le Ministère de la Santé considère qu'il ne peut pas tout faire, cela signifie qu'il ira vers une contractualisation après avoir constaté ses carences. Mais il reste dans la logique qu'il devrait tout faire s'il en avait les moyens. C'est donc parce qu'il n'a pas les moyens qu'il accepte la contractualisation. Au contraire, si le Ministère de la Santé part du principe qu'il ne doit pas tout faire, cela signifie que même si on lui donnait les moyens, il reconnaît qu'il n'est pas nécessairement de son rôle d'organiser la prestation de services et que d'autres peuvent le faire, mieux, à sa place. Pour autant, il ne va pas vers la privatisation. Par la contractualisation, il garde la main sur cette prestation; par son action contractuelle, il se donne un moyen de régulation;

D'un autre côté, l'institution privée doit avoir pris conscience que son fonctionnement en marge du système de santé constitue un problème. En effet, si elle souhaite recourir au contrat uniquement pour obtenir certains avantages du Ministère de la Santé, un tel arrangement ad hoc peut avoir un intérêt pour les deux parties. Pour autant, son influence sur le fonctionnement du système de santé reste limitée. Par contre, si l'institution prend conscience que l'intérêt de ceux pour qui elle travaille, c'est-à-dire les populations, passe par sa meilleure intégration dans le système de santé, mais tout en gardant sa spécificité, la contractualisation est alors la stratégie qui permet d'atteindre cet objectif. Ces préalables sont importants. L'outil qu'est le contrat sera utilisé pour des objectifs totalement différents. Dans un cas, il s'agira d'une entente ad hoc qui peut régler certains problèmes à court terme dans l'intérêt de tout le monde (institution, Ministère de la Santé mais aussi populations). Dans un autre cas, il s'agira d'une entente structurelle qui définit le rôle de chaque partie dans le système de santé; de purement technique, la contractualisation devient alors enjeu de politique au sens de "policy".

Vers une stratégie de contractualisation

Si l'on considère alors que la contractualisation est une stratégie, il convient de la définir plus explicitement. Il faut ainsi poser le cadre qui permettra de réguler les pratiques contractuelles et plus particulièrement ici de poser le cadre qui définira les modalités de la collaboration entre le public et le privé. Cette stratégie peut alors être définie:

Au niveau de la politique nationale de santé; la plupart des pays adoptent ce type de document. Celui-ci doit explicitement reconnaître le rôle des organisations étatiques mais aussi définir les modalités de collaboration;

Au niveau d'une politique nationale de contractualisation; lorsqu'un pays se dote d'un tel document, il est important que les principes de la collaboration, mais aussi les modalités concrètes de cette collaboration soient définies dans ce document.

Les organisations non étatiques doivent aussi s'impliquer à ce niveau. En participant à l'élaboration de ces documents, elles pourront s'assurer que leurs points de vue sont pris en compte. Il convient de rappeler que c'est la raison principale qui avait conduit Medicus Mundi International (MMI) a suggéré qu'une résolution de l'OMS soit élaborée et adoptée et qui avait largement à cela; ce qui a été fait en mai 2003(«Le rôle de la contractualisation dans l'amélioration de la performance des systèmes de santé», Résolution de l'Assemblée mondiale de la Santé, WHA56.25, 28 mai 2003). MMI considérait en effet qu'il était important que les arrangements contractuels spécifiques soient placés dans un cadre qui définisse les rôles de chacun.

*Communication présentée au 6ème symposium de la coopération suisse en matière de santé, Bâle, 6 novembre 2007. Jean Perrot est Senior Economist au Département du Financement des Systèmes de Santé de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Doctorat d'économie à l'Université de Dijon (France). De 1976 à 1991, chercheur au Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) en France. En 1991, entrée au Siège de OMS. Il a toujours travaillé dans le domaine des politiques et des systèmes de santé, notamment dans les pays en développement. Depuis une dizaine d'années, ses activités sont centrées sur le recours à la contractualisation dans les systèmes de santé comme un des outils d'amélioration de leur performance. www.who.int/en/, Perrotj@who.int.