Contribuer un programme performant

Pourquoi la Ligue pulmonaire suisse soutient-elle le programme national de lutte antituberculeuse au Bénin ?

Von Jean-Pierre Zellweger

La Ligue Pulmonaire Suisse (anciennement Association Suisse contre la Tuberculose et les Maladies pulmonaires) collabore depuis une quinzaine d'anneés avec l'Union Internationale contre la Tuberculose et les Maladies Respiratoires, dont elle est membre fondateur, pour soutenir le programme national de lutte antituberculeuse du Bénin.

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L’image de la tuberculose dans le monde actuel se modifie. D’une maladie universellement répandue et souvent mortelle à la fin du 19e siècle (où elle causait encore la mort de près du quart des jeunes adultes), elle est devenue au milieu du 20e siècle une maladie guérissable et donc moins redoutable, réservée aux pauvres et aux marginaux, donc moins "intéressante" pour le corps médical et le grand public. Sa disparition était programmée et la lutte ne mobilisait que très peu d’énergies.

Vers la fin du 20e siècle, il est apparu simultanément que la guérison de la tuberculose n’était pas toujours certaine et que l’incidence tendait à augmenter dans de nombreux pays. Vu l’augmentation des contacts entre les pays, il existait donc une menace sérieuse d’extension de la maladie sous une forme nouvelle, difficilement curable. L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et l’Union Internationale contre la Tuberculose et les Maladies Respiratoires (IUATLD) ont montré que la lutte antituberculeuse devait changer ses méthodes pour endiguer cette menace et ont défini les principes d’une lutte antituberculeuse efficace. Ceux-ci exigent la volonté politique de soutenir la lutte antituberculeuse, l’implantation de laboratoires de diagnostic bactériologique adéquats, l’organisation d’un circuit ininterrompu de distribution de médicaments, la prescription d’un traitement efficace selon un programme standardisé et le contrôle des indices épidémiologiques. Ces principes ont commencé à être appliqués à large échelle dans de nombreux pays, en particulier des pays en développement menacés d’une extension rapide de la maladie. Pour cela, il a été nécessaire de modifier les structures anciennes et de trouver des sources de financement, pour fournir les équipements et les médicaments que certains pays ne pouvaient pas financer par leurs propres ressources.

Il s’est instauré ainsi une collaboration étroite entre les instances internationales spécialisées dans la lutte antituberculeuse, chargées de re-structurer les programmes nationaux et de trouver les sources de financement et les gouvernements locaux, responsables du maintien et du fonctionnement des équipes de lutte antituberculeuse. Parmi elles, les principales sont actuellement IUATLD et l’OMS, qui supervisent chacune le programme national de nombreux pays dans le cadre d’accords d’assistance technique.

Lutte antituberculeuse au Bénin

Depuis une quinzaine d’années, la Ligue Pulmonaire Suisse soutient, en collaboration avec l’Union Internationale, le programme national de lutte antituberculeuse du Bénin. La collaboration consiste en un soutien financier versé à l’Union pour l’achat des équipements de laboratoire et des médicaments nécessaires et en une participation aux visites de supervision régulières dans le pays destinées à évaluer les progrès dans la lutte antituberculeuse sur le plan local. L’Union supervise l’application des principes de traitement adéquats et l’utilisation des fonds mis à disposition. Le Programme National de lutte antituberculeuse (PNT) entretient un réseau de dispensaires et d’hôpitaux qui assurent le diagnostic et la prise en charge des malades et fournit à intervalles réguliers un rapport sur la situation épidémiologique locale.

Le Bénin (ancien Dahomey), est un pays d’Afrique noire francophone, qui s’étend de la côte Atlantique à la région sub-saharienne, entouré du Nigeria, du Niger, du Burkina-Faso et du Togo. Le pays vit essentiellement de la culture du coton et du commerce à partir du port marchand de Cotonou. Sur le plan politique, le Bénin est un des seuls pays au monde a avoir passé sans violence d’une dictature marxiste à un régime présidentiel en élisant comme président son ancien dictateur!

Le nombre de cas de tuberculose déclarés chaque année a augmenté parallèlement à l’accroissement de la population du pays et atteint 2751 cas dont 2192 cas pulmonaires contagieux (frottis positif), soit une augmentation de 41 % depuis 1988. Dans le même temps, la population du pays a passé de 4,36 millions à 6,14 millions d’habitants. L’incidence, soit le nombre de nouveaux cas annuels pour 100'000 habitants, se situe donc à une valeur stable de 41,5, soit une valeur inférieure à la moyenne des pays voisins. La majorité des cas sont nouveaux, seuls 3 % des cas sont traités pour une rechute de tuberculose. La majorité des malades sont de jeunes adultes (entre 25 et 34 ans). C’est également dans cette classe d’âge que l’augmentation est la plus importante, le nombre de cas dépistés chez les enfants et chez les adultes âgés de 45 ans et plus restant stable. Le pourcentage de malades tuberculeux également porteurs du virus VIH n’a pas augmenté depuis 1995 et se situe à 12 % pour les villes de Cotonou et Porto-Novo, taux très bas pour l’Afrique noire.

Le PNT assure la formation du personnel des dispensaires chargés du traitement des cas de tuberculose, la récolte des données épidémiologiques, la distribution des médicaments à partir de la centrale, la supervision régulière des centres départementaux et régionaux, en particulier de la qualité du travail des laboratoires et de la récolte des données sur le résultat du traitement des malades. Les visites de supervision sont régulières à tous les niveaux.

Le traitement de la tuberculose correspond aux recommandations de l’Union Internationale et comprend une période intensive de deux mois en milieu hospitalier, par une association de quatre antituberculeux majeurs, suivie d’une période de traitement ambulatoire de 8 mois par deux médicaments. Le pourcentage de cas traités complètement atteint 77% pour les nouveaux cas contagieux et 71 % pour les rechutes (dont le traitement est plus long et plus difficile). Ce taux est pratiquement inchangé depuis 13 ans, mis à part une brève période où les résultats ont été moins favorables entre 1994 et 1997.

Le financement du programme national contre la tuberculose (TNP) est assuré dans une proportion croissante par le Ministère de la Santé Publique. Actuellement, cette part atteint 76%, le solde (24%) provenant de sources extérieures parmi lesquelles la plus importante est la contribution de la Ligue Pulmonaire Suisse. Le coût des médicaments nécessaires au traitement d’un cas de tuberculose se monte à 36 francs suisses, le coût global, incluant tous les frais d’équipement, de fonctionnement et de personnel, à environ 120 francs suisses par cas traité.

Approvisionnement en médicaments antituberculeux

Un des points forts du PNT du Bénin est le fait que le programme n’a jamais connu de rupture de stock et que les disparitions ou les pertes de médicaments sont pratiquement inexistantes. Les médicaments commandés, une fois livrés au port, parviennent tous à destination. Le contrôle répété des stocks, la centralisation des médicaments en un lieu unique, les courtes distances du Centre National aux Centres départementaux et la très grande conscience professionnelle des membres de l’équipe du NTP expliquent cette situation favorable.

Les médicaments antituberculeux utilisés par le PNT du Bénin proviennent de deux sources :

1. Les médicaments achetés par l’Union Internationale avec les montants offerts par les associations nationales hollandaise (KNCV) et suisse (LPS).

2. Les médicaments achetés par la Centrale d’Achat des Médicaments Essentiels (CAME) avec les crédits fournis par le Ministère de la Santé du Bénin.

La nature et la quantité de médicaments commandés est déterminée par le PNT sur la base du nombre de malades déclarés, de leur catégorie (certains types de malades ont besoin de traitement plus longs ou d’associations médicamenteuses plus complexes) et des réserves à prévoir entre deux livraisons. Comme le gouvernement du Bénin a pu augmenter progressivement le budget de la santé, la proportion des médicaments fournis par la seconde voie augmente. A long terme, il est prévu que l’achat des médicaments soit entièrement financé par le Ministère de la Santé et que l’aide extérieure soit attribuée à d’autres postes tels que la formation du personnel et la supervision.

Le circuit de distribution des médicaments commence par la livraison des commandes, en général au port de Cotonou, parfois à l’aéroport. Les médicaments livrés en conteneurs sont entreposés, contrôlés, taxés puis livrés par une société transitaire, soit à la pharmacie du Centre National de Cotonou (pour les médicaments offerts par l'UICT), soit aux entrepôts de la CAME qui se charge de la livraison au Centre pour les médicaments achetés par le Ministère de la Santé.

Les médicaments stockés dans les entrepôts du port sont exonérés des droits de douane mais soumis à une taxe d’entreposage et de manutention (au prorata du temps de séjour), à une taxe forfaitaire proportionnelle à la valeur de la marchandise et aux frais de transports. Les marchandises sont contrôlées à l’arrivée et périodiquement pendant l’entreposage.

Les médicaments sont stockés au Centre National dans un entrepôt fermé d’où ils sont distribués dans les Centres Départementaux en fonction des commandes trimestrielles, en général au cours des visites d’inspection.

Taux de résistance aux médicaments antituberculeux

La résistance aux médicaments antituberculeux constitue une menace sérieuse pour de nombreux programmes nationaux, du fait que les malades porteurs d’une souche de bacilles tuberculeux résistants aux médicaments antituberculeux habituels ne peuvent plus être traités ou seulement par des médicaments de réserve, plus chers, plus toxiques et moins efficaces. La proportion de cas résistants aux médicaments antituberculeux est un reflet, partiel mais important, de la qualité du travail d’un programme national.

Le Bénin se trouve dans la situation très favorable de connaître un taux très faible de résistance aux médicaments antituberculeux essentiels. Une étude réalisée en 1996, 12 ans après l’introduction des nouveaux médicaments antituberculeux, a montré que le taux de résistance à l’isoniazide chez les sujets qui n’ont jamais été traités n’est que de 5,4 % et le taux de résistance à la rifampicine de 0,3 %, soit des chiffres inférieurs aux taux observés en Suisse! Chez les rares sujets qui sont traités pour une rechute de tuberculose après avoir reçu un traitement antituberculeux complet ou incomplet, les taux de résistance sont par contre beaucoup plus élevés, comme on doit s’y attendre. La raison du très faible taux de résistance aux médicaments antituberculeux est que les médicaments sont administrés de manière strictement supervisée, au moins pendant toute la phase intensive du traitement (aucune dose de médicament contenant de la rifampicine n’est prise sans contrôle), ce qui évite les erreurs de dosage, les interruptions ou les irrégularités qui pourraient conduire au développement progressif de résistances médicamenteuses. Ceci, ajouté au fait que les médicaments ne sont jamais disponibles sans contrôle hors du PNT, par exemple pour le traitement d’autres maladies infectieuses, explique la situation très favorable du Bénin ainsi que le faible taux de rechutes de tuberculose.

Les points forts...

Le programme de lutte antituberculeuse du Bénin est l’un des programmes les plus efficaces de l’Afrique Noire. L’endémie tuberculeuse du pays est modérément élevée mais il faut tenir compte du fait que le diagnostic par examen direct des expectorations dépiste essentiellement les cas pulmonaires bacillaires et rarement les cas non-bacillaires et les extra-pulmonaires. Le nombre de cas annoncé correspond donc aux cas contagieux (contrairement à beaucoup de pays occidentaux, où un tiers, voire la moitié des cas ne sont pas confirmés bactériologiquement). Les principes de traitement sont simples mais le programme est supervisé de manière rigoureuse et régulière par une petite équipe bien formée, attentive au moindre détail. Les crédits sont utilisés de manière scrupuleuse, aucune trace de perte ou de coulage n’apparaissant dans les visites d’inspection, en particulier des stocks de médicaments qui sont gérés de manière détaillée. Le programme national accorde une attention particulière à la formation de ses collaborateurs, tant au niveau central que périphérique, ainsi qu’à la supervision interne et externe de ses activités.

Le PNT a su investir ses ressources limitées en fonction des priorités épidémiologiques et renoncer à toute dépense superflue ou dont l’efficacité est douteuse. Il a su mettre l’accent sur une méthode de diagnostic bactériologique simple et utilisable même dans des conditions de terrain précaires et renoncer pour l’instant à tout équipement onéreux. Seul le laboratoire central qui supervise tous les laboratoires périphériques et la qualité de leur travail, a reçu un équipement plus sophistiqué.

...et les points faibles du programme

Le programme n’est pas à l’abri des défaillances humaines, ni des problèmes liée à une structure étatique. Des mutations de personnel décidées en haut lieu sont parfois effectuées au sein de l’équipe du programme national, au détriment de la qualité du travail. Toute mutation nécessite la formation d’un nouveau collaborateur, donc des frais et une perte de temps.

Le Bénin est un pays très pauvre, dont les infrastructures sont fragiles ou inexistantes. Les communications routières ou téléphoniques sont problématiques. La recherche des malades défaillants reste pratiquement impossible en dehors des centres urbains.

Les menaces

L’accroissement démographique et l’augmentation de la prévalence du virus HIV entraînent une augmentation de l’incidence de la tuberculose, malgré tous les efforts du programme national. La lutte antituberculeuse continuera encore longtemps au Bénin, comme dans les autres pays en voie de développement.

L’avenir

Le soutien à un programme efficace de lutte antituberculeuse, capable d’endiguer une épidémie avec des moyens financiers limités mais dans le cadre d’une structure performante et bien rodée, constitue une forme d’aide utile et contribue à la prévention globale de la tuberculose, telle qu’elle est préconisée par l’Union Internationale et par l’Organisation Mondiale de la Santé. La Ligue pulmonaire Suisse est fière de contribuer depuis plusieurs années au succès d’un programme de lutte antituberculeuse reconnu comme l’un des plus performants d’Afrique.

*Jean-Pierre Zellweger, pneumologue FMH, est médecin-conseil de la Ligue Pulmonaire Suisse. Contact: zellwegerjp@swissonline.ch