Le résultat d'une violation des normes sociales?

L'ulcère de Buruli au Cameroun

Von Alphonse Um Boock und René Staeheli

L'ulcère de Buruli est une maladie infectieuse due à une mycobactérie et caractérisée par de vastes ulcérations cutanées qui évoluent le plus souvent vers des séquelles invalidantes. Une enquête récente au Cameroun portant sur les " connaissances, attitudes et pratiques " nous a permis de comprendre le message communautaire par rapport à cette maladie: le poids de la tradition est assez fort.

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Au Cameroun, l’ulcère de Buruli a été décrit pour la première fois en 1975. Les 47 cas étudiés à l’époque provenaient tous d’un foyer très localisé dans la vallée du Nyong entre les villes d’Ayos et d’Akonolinga, dans le centre-sud du Cameroun. Depuis plusieurs années, le personnel de santé rapporte sporadiquement des cas suspects d’ulcère de Buruli sans confirmation diagnostique. Ces observations viennent de différentes régions du pays, mais surtout des provinces de l’Extrême-Nord, du Sud-Ouest et du Centre. Dans cette dernière province, les cas rapportés proviennent principalement de la zone d’Ayos-Akonolinga.

Malheureusement, l’importance épidémiologique de cette pathologie ne semble pas avoir attiré l’attention des autorités sanitaires, car elle reste totalement ignorée des statistiques sanitaires de routine et est souvent même méconnue des personnels de santé.

Une enquête épidémiologique menée entre autres par l’Aide aux Lépreux Emmaüs-Suisse (ALES) en août 2001 dans le bassin du Nyong et portant sur l’ulcère de Buruli a permis d’identifier 438 cas d’ulcère de Buruli (formes évolutives et formes inactives confondues). De ces 438 cas, 97 ont été recensés dans le district d’Ayos et 331 cas dans le district d’Akonolinga. Cette enquête a permis de classer l’ulcère de Buruli comme problème de santé au Cameroun.

Depuis 2002, une intervention structurée a été mise en place par le Ministère de la Santé du Cameroun avec l’appui de deux principaux partenaires: l’Aide aux Lépreux Emmaüs-Suisse (ALES) et la section suisse de Médecins Sans Frontières. Cette intervention rencontre des difficultés liées à l’insuffisance des connaissances actuelles sur la maladie: aucun antibiotique n’est encore jugé efficace sur la maladie, seule la chirurgie représente le traitement de choix; les données épidémiologique sont encore incertaines.

Face à cette situation, une enquête portant sur les « connaissances, attitudes et pratiques » a été réalisée en 2003 par l’ALES et les équipes de santé des districts d’Ayos et d’Akonolinga. Cette étude quantitative descriptive reposant sur un questionnaire et mesurant les effets des connaissances, attitudes et pratiques sur une population a été appliquée à 1400 personnes habitant le département du Nyong et Mfoumou et réparties sur 25 villages.

Les principaux résultats de cette étude ont été les suivants :

  • 79% de répondants déclarent déjà avoir entendu parler de « l’atom » (terme local désignant l’ulcère de Buruli).
  • Les parents constituent la principale source d’information sur la maladie; jusqu’à 57% des répondants connaissent la maladie à partir de cette source d’information. 25% de répondants connaissent la maladie à travers les tradipraticiens (deuxième source d’information sur la maladie).
  • 73% des répondants pensent que l’ulcère de Buruli s’attrape aux champs.
  • Jusqu’à 18% des répondants constitués surtout d’élèves pensent que la maladie s’attrape à l’école.
  • 64% des répondants pensent que l’ulcère de Buruli peut être évité si l’on ne porte pas atteinte aux biens d’autrui (ne pas uriner dans les champs d’autrui, ne pas touchent aux biens d’autrui). C’est la principale condition pour éviter l’ulcère le Buruli selon la majorité (92%) des répondants. La maladie apparaît comme une sanction à une violation des normes sociales.
  • Pour 85% des répondants, le recours aux soins est le guérisseur du village.

Signalons que, jusqu’à ce jour, les services de santé, à l’exception des hôpitaux d’Ayos et d’Akonolinga, n’ont pas été capables d’apporter une réponse médicale à l’ulcère de Buruli, d’où le grand poids exercé par les traditions sur la maladie.
Les constatations ci-dessus soulèvent des interrogations auxquelles il semble indispensable d’apporter des éléments de réponse en vue de mieux cibler les interventions pour la prise en charge de la maladie. Il faut aussi savoir comment les malades souffrant de l’ulcère de Buruli se représentent eux-mêmes dans la société et de décrire la vie post-traumatique des anciens patients.

Un autre ordre de questionnement sans réponse consiste à savoir si les populations locales ont réellement considéré l’ulcère de Buruli comme un problème de santé important dans leur communauté, à quel moment elles ont pris conscience de la maladie, si l’explication causale ou l’interprétation de la maladie a évolué au fil du temps et que penser de l’enseignement accumulé par ces populations à la suite des souffrances et des préjudices subis du fait de la maladie. Cette lecture diachronique de la situation est nécessaire pour comprendre le degré d’enracinement des pratiques liées à l’ulcère de Buruli dans les mœurs des populations.

Toutefois, du fait d’une forte suspicion de présence de la maladie dans d’autres régions du pays, il apparaît nécessaire d’envisager une enquête de prévalence à l’échelle nationale afin de connaître réellement l’importance de cette terrible affection au niveau du pays tout entier. L’année 2004 sera marquée par d’autres activités de recherche. En particulier, des efforts importants seront consentis pour améliorer la qualité des soins, afin que les délais d’hospitalisation soient encore raccourcis et la qualité de la guérison améliorée.

* Alphonse Um Boock est médecin et Représentant régional de l'Aide aux Lépreux Emmaüs-Suisse (ALES) pour l’Afrique; René Staeheli est Directeur de l’ALES à Berne. Contact: emmaus@lepra.ch, www.lepra.ch