Dans le cadre d'un programme d'appui aux structures de santé

Les accoucheuses « traditionnelles » contribuent à l'amélioration de la santé maternelle et infantile

Von Susanne Enz Dia und Saïnta Ndem Goïdi

Cet article donne les raisons de l'institution de la collaboration avec les accoucheuses « traditionnelles » dans le programme de santé de la DDC au Tchad. Il détaille la méthodologie et donne un aperçu sur les résultats obtenus après trois ans de collaboration.

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Dans le Tchad rural, la majorité des femmes accouchent à domicile - seules ou assistées par une parente, une voisine ou une accoucheuse « traditionnelle ». Le centre de santé n'est souvent que le dernier recours en cas de complications. Le refus des femmes d'accoucher au centre de santé a des raisons structurelles et culturelles. Les distances pour atteindre un centre de santé sont grandes - jusqu'à 30 km et plus ; en plus les routes sont mauvaises. Le personnel des centres de santé est peu qualifié et masculin le plus souvent. Une structure d'accueil adéquate pour l'accouchement fait souvent défaut (manque d'intimité). Arrivées au centre de santé, l'attente est longue, les femmes sont mal accueillies et n'ont pas la certitude d'être prises en charge.

Ces retards à trois niveaux - le temps écoulé avant de décider d'avoir recours aux soins obstétricaux, le temps nécessaire pour arriver au centre de santé et le temps écoulé jusqu'à la dispensation des soins - constituent des facteurs de risque importants contribuant aux décès maternel et infantile qui sont très élevés au Tchad. Selon une enquête menée en 1996 et 1997, les décès maternels sont estimés à 827 cas pour 100'000 naissances vivantes. Une femme sur dix-huit entre 15 et 49 ans risque de perdre sa vie suite à une grossesse ou un accouchement. La mortalité néonatale (avant d'atteindre un mois) est évalué à 44 sur mille enfants.

Les lacunes observées au niveau des structures sanitaires ne pourront pas être comblées dans un avenir proche. Les femmes rurales dépendront donc toujours des services de leurs accoucheuses locales. Ce constat nous a amené à chercher la collaboration avec les accoucheuses dans le cadre du programme d'appui aux structures publiques et communautaire de santé, financé par la Direction du Développement et de la Coopération (DDC) dans quatre districts sanitaires du Tchad. Mais comment ces accoucheuses peuvent-elles contribuer à l'amélioration de la santé maternelle et infantile?

Nous basant sur ce que les accoucheuses locales savent et font déjà, nous voulions introduire des changements modestes dans leurs pratiques. Dans un premier temps, il fallait donc connaître leurs pratiques. Une recherche qualitative devait nous fournir les éléments pour l'élaboration d'un module de formation.

Le premier pas : connaître les pratiques

La recherche a eu lieu en avril 1997 dans les deux régions où notre programme intervient ; deux régions culturellement et géographiquement différentes. La première région sahélienne est dominée par la culture arabe et la croyance musulmane. La deuxième région est située en savane où il y a une prédominance des croyances animistes et chrétiennes. Nous avons mené des entrevues semi-structurées avec les accoucheuses et des discussions focalisées avec des groupes de mères qui ont accouché avec l'aide d'une accoucheuse locale.

La recherche a fait ressortir deux sujets-clés à prendre en considération dans le module de formation : l'absence de suivi des femmes enceintes et le manque d'hygiène. Les discussions avec les mères ont fait apparaître l'importance d'un travail de sensibilisation complémentaire au niveau de la population et du personnel des structures sanitaires.

La formation: renforcer l'expertise spécifique

Le but de la formation des accoucheuses locales est de déconseiller des pratiques nuisibles à la santé de la mère et de l'enfant du point de vue biomédical, de renforcer des pratiques favorables et d'améliorer certains aspects de leur travail.

L'introduction de nouvelles techniques du répertoire de la médecine moderne (port de gants, stérilisation) de même que l'enseignement des techniques de l'accouchement en tant que telles ne sont pas prévues dans la formation. En outre, nous n'envisageons pas la création d'un système parallèle et concurrentiel aux structures étatiques de santé ; nous voulons plutôt renforcer leur complémentarité et favoriser la collaboration entre les deux systèmes. L'accoucheuse locale est considérée comme experte dans le domaine de l'accouchement normal. La formation la renforce dans ce domaine et vise à diminuer les risques d'un accouchement à domicile. Par contre pour le suivi des grossesses et les accouchements compliqués, le personnel de santé est jugé compétent.

Consultation prénatale : Dans les deux régions, une femme enceinte et une accoucheuse entretiennent souvent des rapports de parenté ou de voisinage. Pourtant la grossesse n'est pas le sujet de leurs entretiens. En général, une grossesse est cachée le plus longtemps possible pour éviter d'attirer le « mauvais œil » ou la « mauvaise langue » qui constituent un danger pour une grossesse. Une personne qui s'approche d'une femme enceinte pour discuter sur la grossesse est suspectée d'attirer le malheur. L'accoucheuse n'est appelée que lorsque le travail a commencé ou après l'accouchement, juste pour couper le cordon ombilical et administrer les soins à la mère et au nouveau-né.

La consultation prénatale (CPN), telle que pratiquée par la médecine moderne, permet de détecter une grande partie des grossesses à risque et, avec les mesures adéquates, de diminuer les risques liés à l'accouchement. Nous n'apprenons pas aux accoucheuses comment faire cette consultation prénatale, mais nous les conscientisons sur l'importance de cette consultation. Le centre de santé reste la structure compétente pour la CPN. Le fait d'accoucher à domicile, en présence d'une accoucheuse locale, ne doit pas empêcher les femmes enceintes d'aller à la CPN au centre de santé.

Hygiène : Dans les deux régions, les femmes accouchent sur la terre nue. Il y a un aspect symbolique ainsi qu'un aspect pratique dans cette manière de faire. En ce qui concerne le symbolique, les accoucheuses ont évoqué le contact direct de l'enfant avec la terre. « L'enfant vient sur terre, donc il faut qu'il soit en contact direct avec la terre qui l'accueille », nous explique une accoucheuse de Bokoro. Cette manière de faire est pratique car elle évite de souiller des nattes et des draps et favorise le nettoyage. Des notions élémentaires d'hygiène sont transmises lors de la formation, telles que le lavage des mains avant de faire le toucher, l'utilisation des nattes, des tissus propres et d'un plastique comme alèse ainsi que l'utilisation des lames de rasoir neuves pour couper le cordon ombilical. Ces mesures visent à diminuer le risque de tétanos chez la mère et l'enfant.

Reconnaissance des complications : Les complications obstétricales, telles que l'hémorragie pré- et postnatale, la rétention placentaire, le travail prolongé ou dystocique, la (pré-)éclampsie et la mauvaise présentation ne sont pas forcement connues par les accoucheuses comme risque de mortalité. Souvent elles tripotent jusqu'à un stade alarmant avant de conduire une femme à l'hôpital. Au cours de la formation nous expliquons la reconnaissance des complications et nous insistons sur la nécessité de référer les femmes le plus tôt possible.

Pratiques favorables : La recherche sur les pratiques d'accouchement a mis à jour non seulement des risques, mais également des potentiels à valoriser et divulguer. Il n'y a pas d'objection, par exemple, aux positions assises et accroupies d'accouchement. Les accoucheuses musulmanes utilisent du fil et font un nœud avant de couper le cordon ombilical. Nous avons recommandé cette pratique également aux autres accoucheuses. Après l'accouchement, une accoucheuse musulmane s'occupe de l'accouchée et de son enfant pendant sept jours. Elle leur rend visite deux fois par jour et s'occupe des soins. Ce service ne pourrait jamais être assuré par les structures publiques. Un repos de quarante jours est accordé à la mère durant lequel elle ne quitte pas la concession, ce qui la libère des travaux fatigants tels que ramasser du bois, chercher de l'eau et le travail champêtre. Cette pratique se voit plus en ville qu'à la campagne et nécessite d'être revalorisée. Dans les deux régions, l'accouchée reçoit des bains chauds pendants plusieurs jours. Le cordon ombilical du nouveau-né est lavé deux fois et traité avec de l'huile chauffé. Ces pratiques ont fait leur preuve et sont recommandées également par les sages-femmes et les médecins des hôpitaux.

Stage pratique : Après la première partie théorique de la formation, les accoucheuses rentrent chez elles et sont supposées appliquer ce qu'elles viennent d'apprendre. Lors du premier suivi, les formatrices évaluent le degré d'assimilation des nouvelles connaissances. Au cas où celui-ci est jugé bon ou satisfaisant, l'accoucheuse est acceptée pour un stage pratique de deux semaines à la maternité de l'hôpital de district. Là-bas l'accoucheuse accouche les femmes selon les recommandations de la formation sous la supervision d'une sage-femme diplômée.

Le travail avec la communauté : accepter les changements

Les changements que la formation veut introduire, même modestes, demandent à être acceptés non seulement par les accoucheuses, mais également par les communautés dans lesquelles les accoucheuses oeuvrent. Plus d'une fois nous avons entendu le propos « nous comprenons bien la nécessité d'accoucher sur une natte, mais est-ce que les femmes vont accepter de souiller leurs nattes ? » Pour faciliter aux accoucheuses l'application des innovations et la réduction des résistances, une sensibilisation intense et un dialogue avec la population, les maris sont indispensables. La tâche de sensibilisation incombe aux comités de santé (COSAN) constitués autour de chaque centre de santé. Les COSAN sont formés pour cette tâche. Après la formation des accoucheuses, chaque accoucheuse est accompagnée dans son village par le COSAN et les formatrices et une première sensibilisation a lieu. La sensibilisation aborde certains éléments de la formation comme la nécessité d'aller faire la CPN au centre de santé, les risques d'accoucher sur la terre nue, les avantages de l'allaitement maternel et de la vaccination des nouveau-nés ainsi que la rémunération des accoucheuses pour les services rendus.

A vrai dire, le dialogue avec la communauté, son implication dans la formation des accoucheuses, commence bien avant cette sensibilisation : c'est elle qui choisit l'accoucheuse devant bénéficier de la formation. Afin de diminuer le risque que l'on nous présente une femme quelconque comme accoucheuse, nous passons dans chaque village, tenons une réunion avec les femmes et les autorités locales (chefs de villages, chefs religieux etc.) ; nous donnons les critères de choix et demandons aux femmes du village de nous indiquer leur accoucheuse. Les membres du COSAN, les délégué(e)s des villages, font fonction de guide pendant ce tour d'identification et sont chargés de nous communiquer le choix définitif des femmes.

Le travail avec le personnel de santé : comprendre la complémentarité

Les discussions avec les mères ont montré que le personnel de santé manque souvent d'empathie. Les femmes sont mal accueillies et ne reçoivent pas d'informations, par exemple sur le type, la nécessité et les effets secondaires des vaccinations. Bien souvent, l'assistance de l'infirmier ou de la sage-femme n'est demandée qu'en cas de problèmes, après que l'accoucheuse ait épuisé son savoir-faire et lorsque la femme en travail est déjà épuisée. A ce stade, l'infirmier ou la sage-femme sont eux aussi souvent incapables de venir au secours de la femme et l'on peut comprendre leur morosité par rapport à ces femmes « têtues ». L'idée d'une collaboration avec les accoucheuses locales est aussi innovatrice pour le personnel de santé comme pour les accoucheuses. Si une collaboration doit s'établir effectivement, le dialogue avec le personnel de santé est indispensable. Le fait que les accoucheuses soient formées et agissent en complémentarité avec le service de santé public et non pas en compétitivité avec celui-ci n'est compris ni des infirmiers, ni des sages-femmes dès le début.

L'infirmier responsable d'un centre de santé (partout des hommes dans notre cas) est chargé du suivi des accoucheuses formées. Il leur rend visite périodiquement (une fois par mois) et s'entretient avec elles sur leur travail. Le registre de l'accoucheuse, dans lequel elle coche ses cas (nombre d'accouchements normaux, compliqués, décès et autres) ainsi que son propre registre lui servent de guide pour poser des questions. Pour préparer les accoucheuses à ces visites, l'infirmier est présenté aux accoucheuses au cours de la formation comme leur collaborateur direct. Les formatrices ne jouent que le rôle d'intermédiaire.

Résultats obtenus

Nous avons lancé cette formation à trois étapes (formation en groupe, suivi individuel à domicile, stage pratique à la maternité) et s'adressant à trois groupes d'interlocutrices et d'interlocuteurs (accoucheuses, personnel de santé, comité de santé et population) en 1998 d'abords dans les villages autour de cinq centres de santé. En 2001, après trois ans d'expérience, les tendances suivantes sont perceptibles :

Les accoucheuses s'approchent des femmes enceintes pour leur conseiller d'aller à la consultation prénatale. Elles reconnaissent les signes d'un accouchement compliqué et réfèrent les femmes au centre de santé ou à l'hôpital. Elles respectent de plus en plus des règles simples d'hygiène et abandonnent des pratiques néfastes. Les accoucheuses, qui avaient peur des infirmiers et sage-femmes auparavant, ne se cachent plus. Elles sont (re)connues et accompagnent les femmes aux structures de santé.

Le personnel de santé de son côté, qui était retissant au début, adhèrent à l'approche et collabore avec les accoucheuses. Le fait que le Ministère de la Santé Publique a déclaré la collaboration avec les accoucheuse comme une stratégie de prévention de la mortalité maternelle, a certainement favorisé l'esprit coopératif du personnel de santé.

Dans deux centres de santé de la région méridionale qui n'enregistraient pratiquement pas de femmes pour la consultation prénatale avant la formation, les femmes enceintes estimées de la zone qui viennent se consulter dépassent les cent pour-cents après la formation.

Dans les trois autres centres de santé où le personnel de santé est irrégulier dans la prestation des services de la CPN et où les comités de santé sont moins dynamiques pour la sensibilisation, les chiffres obtenus ne donnent pas un bilan aussi satisfaisant. Néanmoins, cette expérience confirme notre hypothèse de la nécessité de la complémentarité des trois piliers de la formation. La formation des accoucheuses ne peut réussir qu'avec la collaboration du personnel de santé et l'engagement du comité de santé pour la sensibilisation.

Epilogue en 2004

Le travail avec les accoucheuses est élargi entre-temps sur l'ensemble des centres de santé des quatre districts et même au-delà. Le Ministère de la Santé Publique utilise le module de formation au niveau national.

*Le programme de la DDC est exécuté par le BASE (Bureau d'Appui Santé et Environnement), une ONG tchadienne. Saïnta Ndem Goïdi (1961) est psychopédagogue de formation, une accoucheuse qui a appris de sa grande-mère et a reçu un recyclage à la maternité de l'Hôpital Central de N'Djaména. Au BASE elle est responsable de la formation des accoucheuses. Susanne Enz Dia (1965) est ethnologue et était conseillère du programme de 1996 à 2001. Contact : basen@intnet.td