Les personnes handicapées en tant qu’actrices de la coopération internationale en matière de santé

Danse des femmes éclopées à Kivu, RDC (Photo: André Thiel / handicap international, flickr)

 

C’est en avril 2014 que la Suisse a ratifié la sixième Convention de l’ONU relative aux droits de l’homme, la convention relative aux droits des personnes handicapées (CDPH). Adoptée en 2006, elle fait partie intégrante des droits internationaux de l’homme depuis 2008. La CDPH a pour but de garantir l’accès des personnes handicapées à la pleine et égale jouissance de tous les droits de l’homme et de les protéger d’abus spécifiques. Elle engage ainsi la Suisse à éliminer les obstacles auxquelles se heurtent les personnes handicapées et à promouvoir activement l’égalité de celles-ci. Selon le texte de la CDPH, les personnes handicapées sont définies comme présentant «... des incapacités physiques, mentales, intellectuelles ou sensorielles durables dont l’interaction avec diverses barrières peut faire obstacle à leur pleine et effective participation à la société sur la base de l’égalité avec les autres.» (CDPH, art. 1).

La coopération internationale est réglée aux articles 11 et 32. L’article 11 se réfère à la protection inconditionnelle et à la préservation de la dignité des personnes handicapées dans des situations de crises humanitaires. Quant à l’article 32, il oblige les Etats signataires de faire en sorte que la coopération internationale prenne en compte les personnes handicapées.

L’article 25 spécifie tout particulièrement les implications pour les fournisseurs des soins de santé dans la coopération au développement: «Les Etats Parties reconnaissent que les personnes handicapées ont le droit de jouir du meilleur état de santé possible sans discrimination fondée sur le handicap. Ils prennent toutes les mesures appropriées pour leur assurer l’accès à des services de santé qui prennent en compte les sexospécificités, y compris des services de réadaptation.» Plusieurs sous-alinéas différencient les droits à un accès sans obstacles aux services de santé.

En ratifiant la convention, la Suisse s’est engagée vis-à-vis du Haut-Commissariat aux droits de l’homme à rendre compte – à des intervalles de cinq ans – de la mise en œuvre de la convention, notamment en ce qui concerne l’élimination de la discrimination et des barrières.

Rampe pour monter dans un hôpital en Ethiopie, Dire Dawa, construite par le ministère de la santé.

 

Les traités sur les droits de l’homme valables avant 2006 ne garantissaient pas une protection suffisante contre la discrimination multiple. Le handicap n’y était pas légalement reconnu comme motif de discrimination. L’égalité des droits de l’homme pour personnes handicapées n’était pas ou incomplètement concédée (Degener et Quinn, 2002, pdf). Par exemple dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, les personnes handicapées étaient uniquement mentionnées comme étant démunies ou devant être protégées. Elles n’étaient pas reconnues comme des sujets pouvant revendiquer les mêmes droits à la santé, l’éducation, la parentalité ou la participation politique.

 

Coopération internationale pour une population moyenne non handicapée

Il en résulte que la Suisse n’a abordé le handicap dans la coopération internationale que sous forme réduite dans la santé publique, la réadaptation et la prévention du handicap. Les personnes handicapées étaient considérées exclusivement comme bénéficiaires passifs de mesures de réadaptation fonctionnelle et ne comptaient pas systématiquement comme utilisatrices, prestataires et conceptrices à part égale de services de santé.

On ne questionnait que rarement la discrimination portant sur l’accès aux services de santé, et il était encore plus rare que celle-ci ne soit prise en compte dans les directives politiques ou dans la pratique des projets. C’est la raison pour laquelle les personnes handicapées sont quasi totalement invisibles dans le message helvétique actuel concernant la coopération internationale 2013 - 2016, à l’exception de l’aide humanitaire. Même les directives globales en vigueur, comme les objectifs du Millénaire pour le développement, ne reflètent pas le handicap jusqu’ici; si elles le font, c’est sous la même forme unidimensionnelle décrite ci-dessus. Il s’ensuit que les personnes handicapées étaient insuffisamment prises en compte dans la planification de mesures de santé et dans les projets de coopération internationale.

Les personnes handicapées étaient considérées exclusivement comme bénéficiaires passifs de mesures de réadaptation fonctionnelle et ne comptaient pas systématiquement comme utilisatrices, prestataires et conceptrices à part égale de services de santé.

Il était normal que le handicap et les personnes handicapées ne soient pas mentionnés dans les plans de coopération internationale par les organismes multilatéraux et autres. C’est pourquoi les hôpitaux, les services VIH ou SIDA et les offres de santé sexuelle et reproductive ont été conçus et financés pour la population «moyenne» non handicapée.

La plus grande partie des fonds de développement étaient investis dans la prévention et non dans un accès égal aux campagnes de vaccination et d’éducation. En parallèle, on a négligé le fait que bon nombre de personnes handicapées n’avaient pas accès au système de santé, même aux prestations de réadaptation fonctionnelle.

Les premières études réalisées dans plusieurs pays (HelpAge, GIZ 2011, pdf; Forcier Consulting/Ministry of Gender, Children and Social Affairs South Sudan 2012) identifient les obstacles suivants:

 

  • une discrimination des personnes handicapées dans des directives qui ne mentionnent pas leur besoin d’information et d’un accès sans obstacles;
  • des hôpitaux et services de santé dépourvus de rampes;
  • un personnel médical qui, du premier abord, ne perçoit pas la personne en soi, mais une personne ayant le défaut d’être handicapée;
  • une négligence face au besoin égal de santé des personnes handicapées et une réticence à intégrer celles-ci dans les activités de planification et de monitoring.

 

Des systèmes de santé publique qui négligent les personnes handicapées

Les premières études et statistiques montrent que les personnes handicapées, soit 15% de la population mondiale, présentent en moyenne un état de santé moins bon que les personnes non handicapées. Bien que 80% d’entre elles appartiennent aux groupes sociaux les plus démunis de la planète, les dépenses qu’elles encourent pour les soins médicaux sont en moyenne 50% plus élevées que celles des personnes non handicapées (WHO 2011; WHO/World Bank 2011). Le prix de l’accès aux prestations est inabordable pour 50% des familles, pour lesquelles le soutien médical est donc également inaccessible. Même celles qui sont capables de se payer les prestations médicales sont trois fois plus susceptibles de se voir refuser l’accès à celles-ci (WHO 2011; HelpAge 2011, pdf). Beaucoup de prestations de santé indispensables à la survie de personnes atteintes de maladies chroniques, telles que les antidiabétiques ou les médicaments psychotropes, ne font pas partie des prestations de base financées par les bailleurs internationaux.

Des études plus spécifiques montrent que dans certains pays, le taux de prévalence VIH/SIDA est plus élevé parmi les personnes handicapées que chez les personnes non handicapées. Beaucoup d’entre elles contractent le VIH/SIDA à la suite de viols (KAIH, COVAW 2013, pdf; De Beaudrap, P.,Mac-Seing, M. & Pasquier, E. 2014; HRW 2014, pdf). Parmi les causes de cette prévalence plus élevée figurent aussi les faits que:

 

  • les campagnes de prévention ne sont pas réalisées dans un format accessible;
  • les tests et consultations volontaires ne sont pas adaptés aux divers besoins de personnes handicapées; et
  • les personnes handicapées sont perçues à tort comme étant asexuelles (KAIH, COVAW 2013, pdf).

 

En outre, des prestations de réadaptation insuffisantes – par exemple, seulement 5 à 15% des personnes ayant besoin d’un fauteuil roulant y ont effectivement accès – contribuent elles aussi à poser des limites inutiles aux capacités et performances des personnes handicapées (WHO 2011). Cette situation occasionne des frais supplémentaires à la charge des familles et provoque un gaspillage de potentiel de travail dans les ménages et la société.

L'accès au prestations de réadaptation fonctionnelle doit être garanti.

 

Un grand nombre de femmes et de filles handicapées ainsi que de personnes âgées handicapées sont menacées d’une discrimination multiple. Selon les études les plus récentes, les personnes atteintes de troubles psychiques et intellectuels sont exposées sans défense à la stérilisation ou contraception forcée dans certains pays ((DRI 2015,pdf; HRW 2015; KAIH, COVAW 2014, pdf).

 

Potentiel et démarches vers une coopération internationale en matière de santé qui inclut les personnes handicapées

La ratification de la CDPH par plus de 150 nations et sa propagation dans le monde entier permet d’entrevoir de premières améliorations quant à la protection et à l’accès inclusif pour les personnes handicapées. L’égalité de leur droit à la santé est de plus en plus souvent respectée; les innovations dans le secteur du monitoring et de l’évaluation s’ancrent peu à peu.

Au sens propre de la CDPH, c’est la Suisse qui est responsable de la mise en œuvre de celle-ci. Mais les organisations non-gouvernementales pour la coopération au développement et les acteurs humanitaires ont eux aussi un rôle important à jouer dans cette application:

•    Mettre en place une coopération internationale en matière de santé sans discrimination par le biais de la transformation:
•    prise en compte à part égale de femmes et d’hommes, de filles et de garçons handicapés pour la conception de projets et d’études;
•    conseil professionnel incluant le handicap pour la définition et le développement intersectoriels de la qualité et de l’accessibilité dans le domaine de la santé;
•    élaboration de directives respectant les règles d’accessibilités pour les projets de construction dans le système de santé publique;
•    soutien aux mesures de prévention, initiées par les organisations partenaires locales, qui prônent l’accessibilité des informations aux personnes handicapées;
•    monitoring et évaluation inclusifs de projets, en coopération avec les personnes handicapées et les organisations qui les représentent; et
•    déchiffrage des données statistiques sur les bénéficiaires de prestations selon le principe «leave no one behind».
•    Augmenter le taux d’emploi de personnes handicapées dans leurs propres organisations.
•    Dans le cadre de l’approche portant sur les droits de l’homme, soutenir l’inclusion du handicap dans les objectifs globaux de développement social et notamment l’introduction d’un indicateur pour l’objectif «la santé pour tous».
•    Développer et transformer l’organisation pour qu’elle intègre les personnes handicapées.
Le graphique résume les étapes d’une inclusion systématique:

 

Ressourcen

Astbury, J. & Walki, F. (2013). Triple Jeopardy: Gender-based violence and human rights violations experienced by women with disabilities in Cambodia.

COVA/ KAIH (2013): Baseline Survey. The knowledge, awareness, practice & prevalence rate of gender based violence (GBV) especially sexual violence among women and girls with intellectual disabilities http://covaw.or.ke/wp-content/uploads/2014/01/Covaw-report-new-final-interactive.pdf

Degener, T & Quinn, G. (2002): Human Rights and Disability. The current use and future potential of United Nations human rights instruments in the context of disability. http://www.ohchr.org/Documents/Publications/HRDisabilityen.pdf

DFID/ KAR: Mainstreaming disability in development: Lessons from gender mainstreaming. 2005

De Beaudrap, P.,Mac-Seing, M. & Pasquier, E. (2014): Disability and HIV: a systematic review and a meta-analysis of the risk of HIV infection among adults with disabilities in Sub-Saharan Africa, AIDS Care: Psychological and Socio-medical Aspects of AIDS/HIV, DOI: 10.1080/09540121.2014.936820 http://dx.doi.org/10.1080/09540121.2014.936820

DRI/ Colectivo Chuhcan (2015): Abuse and Denial of Sexual and Reproductive Rights of Women with Psychosocial Disabilities in Mexico. A Report by Disability Rights International and Colectivo Chuhcan. http://www.disabilityrightsintl.org/wordpress/wp-content/uploads/Rep_women_Mexico_Final_Feb25.pdf

Forcier Consulting/ Ministry of Gender, Children and Social Affairs South Sudan (2013): Towards equal participation of people with disabilities in South Sudan : a survey of the inclusion of people with disabilities in civic and social life

HelpAge/ GTZ (2010): Healthcare for vulnerable groups in Cambodia

Report of a study to prepare the integration of vulnerable groups, specifically the elderly and people with disability, into the Social Health Protection Programme (SHPP) in Cambodia. http://www.mopotsyo.org/Highlight2010_Dec_2011_Feb/Cambodian%20German%20Social%20Health%20Protection%20Programme_%20Final%20report%20on%20vulnerable%20groups_%2026%20November%202010.pdf

HI/SC (2011): Out from the shadows. Sexual Violence against children with disabilities.

HI (2013): Sexual and gender-based violence against women and girls with disabilities. First Facts from Dadaab Refugee Camps. # 1.

Human Rights Watch (2014): We are also dying of AIDs. Barriers to HIV services and treatments for persons with disabilities in Zambia. http://www.hrw.org/sites/default/files/reports/zambia0714_ForUpload_1.pdf

Human Rights Watch (2014): Treated Worse than Animals. Abuses against Women and Girls with Psychosocial or Intellectual Disabilities in Institutions in India. http://www.hrw.org/sites/default/files/reports/india_forUpload.pdf

Northeastern University School Of Law (2012): Forgotten sisters – A report on the violence against women with disabilities. An Overview of its nature, scope, causes and consequences

Ulrike Last
Au cours des années 1990, Ulrike Last a fait des études en science de la réadaptation à l’Université Humboldt de Berlin, en Allemagne, ainsi qu’en Grande-Bretagne. En 2002-03, elle a réalisé sa maîtrise en science du développement à l’Université de Leeds. Ensuite, elle a travaillé en Afrique de l’Est et en Asie du Sud-Est pendant dix ans, collaborant avec des partenaires de la société civile, des organisations humanitaires et des gouvernements sur l’inclusion et l’égalité des droits des femmes et hommes handicapés. Depuis le mois de septembre 2014, elle travaille pour Handicap International Suisse à Genève en qualité de conseillère professionnelle pour l’inclusion du handicap dans la collaboration en matière de développement et dans l’aide humanitaire. En outre, elle coordonne un projet global visant la transformation de la politique et les Bonnes Pratiques dans le domaine du handicap, du genre et de la violence basée sur le genre.