Le rôle du préservatif

Entre ciel et terre dans la lutte contre le Sida au Cameroun

Von Bertrand Dimody et Inès Tchomago

Dans un contexte où les barrières sociales élevées par les traditions et la religion considère le préservatif comme un incitateur aux rapports sexuels de tous ordres, allant jusqu’à bafoué une éthique sociale construite autour de la fidélité dans le mariage, et particulièrement dans une optique de procréation, la promotion de l’utilisation du préservatif au Cameroun demeure un défi. Le présent article témoigne des activités et résultats de l’Association Camerounaise pour le Marketing Social et fait ressortir quelques actions.

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Selon ONUSIDA, 60 millions d’adultes et 15 millions d’enfants vont succombé du Sida en 2025. Au vu de la montée fulgurante de la propagation de l’épidémie VIH dans le monde et particulièrement en Afrique, des efforts considérables sont entrepris par les autorités à la fois gouvernementales, locales et internationales, dans la mise à disposition des populations à risques du préservatif masculin et féminin. ONUSIDA nous indique aussi que les préservatifs masculins et féminins, s’ils sont utilisés correctement et de façon systématique, peuvent réduire le risque de transmission par voie sexuelle de 80 à 90%. Car en fait, les préservatifs sont les seuls produits qui offrent une protection efficace contre le VIH et les autres infections sexuellement transmissibles.

Un grand pas dans l’accompagnement institutionnel

Au Cameroun notamment et ce depuis plus d’une dizaine d’années, des programmes multiples s’attèlent à rendre disponibles et accessibles les préservatifs auprès des populations vulnérables au travers des techniques de marketing social. C’est le cas de l’Association Camerounaise pour le Marketing Social (ACMS), lancé en 1996 et qui reprenait les activités de marketing social du préservatif masculin lancées au Cameroun par l’ONG internationale Population Services International (PSI) depuis 1989. Ses activités consistaient à mettre à la disposition des populations vulnérables et à faible revenu, le préservatif de qualité comme moyen de protection à la fois, des grossesses non désirées, des infections sexuellement transmissibles et du VIH. Diverses campagnes de promotion des préservatifs de l’ACMS ont reçu le soutien du Comité National de Lutte contre le Sida (CNLS), organe technique du Ministère de la Santé Publique en charge de la lutte contre le Sida. Le CNLS a dans son plan stratégique 2006-2010 consacré dans son axe premier l’accès universel à la prévention à travers différentes méthodes, notamment le préservatif. Ceci illustre le fort engagement politique des institutions et de l’Etat.

Plus de 26 et 28 millions de préservatifs ont été utilisés par les groupes cibles respectivement en 2007 et 2008, grâce à l’effort de promotion de l’Association Camerounaise pour le Marketing Social (ACMS) avec le financement de la Banque Allemande de Développement (KfW) à travers le Projet de Prévention du VIH-SIDA en Afrique Centrale (PPSAC) de l’Organisation de Coordination pour la lutte contre les Endémies en Afrique Centrale (OCEAC). Ces chiffres, ne font pas état de la distribution du secteur privé pharmaceutique et de la Centrale Nationale d’Approvisionnement en Médicaments et consommables Médicaux Essentiels (CENAME).

Barrières socio culturelles pour l’utilisation des préservatifs

Cependant, cette promotion du préservatif se heurte aux barrières socioculturelles d’un environnement dans lequel, parler de sexe est encore tabou. Comment faire alors pour favoriser l’utilisation du préservatif que les traditions et les religions considèrent comme un incitateur aux rapports sexuels de tous ordres bafouant une éthique sociale construite autour de la fidélité dans son mariage, et particulièrement dans une optique de procréation ?

Dès lors, la nécessité du changement de comportements des populations fortement ressentie est prise en compte ipso facto par les pouvoirs publics et les associations locales. Plusieurs campagnes et projets de sensibilisation ont vu le jour. Parmi eux, le projet de l’ACMS dénommé 100% Jeune à travers un magazine mensuel, des émissions radiodiffusées hebdomadaires, l’éducation par les pairs et un site web. De même que les campagnes de sensibilisation du CNLS telles que Vacances Sans Sida et les autres initiatives de la société civile en direction des jeunes de 15- 24 ans.

Par ailleurs, des campagnes de promotion de l’usage correct du préservatif « Pincez déroulez » qui cible la population générale, notamment les travailleuses de sexe, a laissé voir le gap qui se trouve entre la connaissance de l’existence du préservatif et son utilisation par la population cible. Car, si près de 98% des personnes ont entendu parler du VIH selon l’enquête de santé et de démographie (EDS 2004), les chiffres baissent quant à ceux qui utilisent correctement les préservatifs. Il est à noter qu’à peine 78% des personnes citent le condom comme moyen de prévention. De surcroît, les chiffres entre la connaissance théorique de l’utilisation du préservatif, la citation orale des principales étapes de l’usage correct et la démonstration du port correct du préservatif baissent sensiblement à chaque niveau ; les chiffres passent ainsi et respectivement de 78,7% à 52,7% et à 32,2%, selon la même étude de PPSAC en 2006. Ces statistiques couvrent essentiellement les préservatifs masculins, car les préservatifs féminins sont encore en cours d’introduction au Cameroun. Ceci justifie l’effort de distribution massive des préservatifs et l’intensification de la communication en vu de son usage correct et systématique pour une meilleure prévention du Sida. La campagne « Pincez déroulez » phase II avec ses composantes mass média et interpersonnelles ; les différentes activités telles que « les tirs groupées » (technique couplant dans une zone la distribution de masse des préservatifs auprès d’un réseau de vente - pour doper l’offre- aux causeries éducatives massives en direction de la population – pour stimuler la demande) par les promoteurs spécialement formés aux techniques de communication par l’ACMS, vient contribuer à combler ce gap.

Condom pourtant toujours très controversé

Pourtant, l’on n’est pas sorti de l’auberge devant la guerre socioculturelle qui oppose l’utilisation du préservatif aux traditions et à la religion; bien plus, à la remise en cause de son efficacité dans la lutte contre le SIDA au Cameroun.

Le récent passage du Pape Benoît XVI au Cameroun à travers ses propos contre l’utilisation du préservatif, a soulevé l’épineuse question de l’efficacité du préservatif dans la lutte contre le SIDA. Si la plupart des études démontrent que les préservatifs sont aussi essentiels aux efforts de prévention du VIH, offrant à la fois une protection contre les IST et contre la réinfection, et protégeant les partenaires sexuels, certains organismes et politiques gouvernementales, notamment le droit à la santé, constituent un véritable frein à la vulgarisation du préservatif. En effet, plusieurs facteurs entrent en droite ligne dans les obstacles liés à l’accès du préservatif. Entres autres, l’absence d’autonomisation des femmes notamment dans la prise de décision quant à la possibilité d’utiliser le condom pendant les rapports sexuels ; la religion et l’éthique sociale qui voient en l’utilisation du préservatif le développement de la promiscuité sexuelle ; la promotion de la fameuse formule ABC - Abstinence, monogamie et utilisation des préservatifs - avec une incidence forte quant à la stigmatisation des personnes utilisant le préservatif ; les croyances personnelles et les questions liées au plaisir…

Malgré tout cela, d’années en années, les campagnes de communication sur la nécessité de se protéger du VIH, des IST et des grossesses non désirées, ont connu un impact positif dans la promotion et l’acceptation du préservatif par les populations et notamment au sein des communautés rigides. D’ailleurs selon les statistiques de l’ACMS, 28'992’945 préservatifs masculins et 148’993 préservatifs féminins ont été distribués sur l’ensemble du territoire camerounais en 2008. Soit une consommation moyenne par tête d’habitant d’environ 1,8 préservatifs pour une population d’environs 16'000’000 d’habitants. Alors qu’en 1993 les ventes atteignaient difficilement les 3 millions d’unités.

Le préservatif malgré tout, rentre progressivement dans les mœurs. Et si la tendance en terme de vulgarisation et de capacitation de la population à l’usage correct de ce dernier est maintenue, la fédération des efforts avec les différents mouvements socio- politico- religieux, le scénario catastrophe de l’an 2025 à défaut d’être évité sera réduit et l’incidence du VIH sur la population et l’économie mondiale ramenée à la valeur la plus faible.

*Bertrand Dimody est le Coordonnateur du projet 100%Jeune du Cameroun. Il a œuvré à la mise en route du projet dès l’année 2000 et de sa reconnaissance comme best practice à travers sa duplication en Afrique Centrale, notamment au Tchad et en RCA. Il s’engage dans la lutte contre le Sida en 1994 comme animateur communautaire. Contact: bdimody@acms-cm.org , http://www.reglo.org/

Ines Tchomago est consultante en Relations Publiques de l’ ACMS. Elle est ancienne animatrice radio et Secrétaire de rédaction du journal 100%Jeune. Contact: itchomago@acms-cm.org

Bibliographie