Appui au processus de réconciliation et à la reconstruction post-conflit du secteur sanitaire dans l’Ouest de la Côte d’Ivoire

Un rôle salutaire pour la recherche scientifique

Von Eliézer K. N’Goran, Marcel Tanner, Guéladio Cissé, Andres B. Tschannen, Jürg Utzinger und Olivier Girardin

Les centres de recherches internationaux peuvent être confrontés à des crises sociopolitiques dans les pays où ils établissent leur siège. Grâce à leur expérience et présence sur le terrain, ces centres sont dans une position unique pour participer au processus de réconciliation, donner un appui humanitaire et contribuer à la reconstruction post-conflit. A titre d’exemple, l’article présente le cas du Centre Suisse de Recherches Scientifiques en Côte d’Ivoire (CSRS) et son rôle dans l’appui au système sanitaire pendant la récente crise militaro-politique dans ce pays.

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Le CSRS est une institution internationale qui conduit des projets de recherche scientifique en partenariat Nord-Sud pour répondre aux problématiques de développement en Côte d’Ivoire et dans la sous-region depuis 1951. La majorité des projets poursuivent une approche de recherche-action-formation, pour s’adapter aux besoins des populations, assurer leur participation et celle des partenaires académiques, étatiques ou d’organisations non gouvernementales. C’est dans ce contexte que le CSRS a été directement confronté aux effets de la crise ivoirienne à partir de septembre 2002. Les risques de désastres auxquels les populations étaient confrontées et la rupture d’une confiance intercommunautaire mettaient en danger le travail de proximité pratiqué par le CSRS et ses nombreux acquis.

Le CSRS et la crise Ivoirienne

Dans le cadre du programme d’appui à la réconciliation en Côte d’Ivoire, financé depuis juillet 2003 par la Direction du Développement et de la Coopération Suisse (DDC), il est revenu au CSRS d’initier et de conduire des actions porteuses de concorde sociale auprès des populations. Cette tâche n’est pas parmi les tâches habituelles d’un centre de recherche. Cependant, la longue présence du CSRS en Côte d’Ivoire, et son approche de proximité sont vite apparues comme des facteurs pouvant contribuer au processus de réconciliation, à l’appui humanitaire et à la reconstruction post-conflit. Les recherches scientifiques combinées aux actions et à la formation constituaient une voie prometteuse pour restaurer un climat de confiance entre les différents acteurs du développement.

Le programme conduit par le CSRS s’articule autour de sous-projets relatifs à des thèmes qui sont au cœur des recherches du CSRS : la santé des enfants dans l’Ouest, les aliments de base dans le Centre Nord, et la protection de la faune et de la flore naturelle dans la zone de Taï à l’Ouest. Autour de ces thématiques, un esprit fédérateur d’union nationale et de confiance a pu être créé par les chercheurs, à travers des actions d’appui aux populations. Le cas du sous-projet « santé, paix et bien-être des populations rurales de l’Ouest » est retenu pour illustrer dans cet article le rôle rempli par la recherche.

Dates clés du conflit et du processus de réconciliation (en italique) et du projet au cours de la période de crise en Côte d’Ivoire.
Sept 02 Début des hostilités militaires en Côte d’Ivoire
Jan 03 Accord de paix (Linas-Marcoussis, France)
Juil 03 Début du projet DDC au CSRS
Oct 03 Visite ministérielle à l’Ouest (Action à Haute Valeur Symbolique)
Déc 03 Dépistage parasitologique I et enquêtes socio-économiques
Avr 04 Remise de 60 caisses à pharmacie et formation des gestionnaires
Août 04 Accords sur la sortie de crise (Accra III, Ghana)
Juil 04 Dépistage parasitologique II
Nov 04 Violation du cessez-le-feu
Avr 05 Accords sur le désarmement et les élections présidentielles (Pretoria, Afrique de Sud)
Mai 05 Remise de 40 caisses à pharmacie et formation des gestionnaires
Nov 05 Début prévu du déparasitage régional et sensibilisation des populations

 

La recherche sur la situation sanitaire dans une période de crise militaro-politique

Pendant la crise, le dépistage chez les enfants en âge scolaire dans les populations rurales a permis de mettre à jour la carte de distribution de la bilharziose intestinale et des géohelminthes. Ce dépistage, combiné à des enquêtes socio-économiques, a permis d’appréhender l’impact de la crise sur les conditions de vie des populations rurales, et de conduire une évaluation objective de la situation sanitaire. Les évènements publics, intitulés « Actions à Haute Valeur Symbolique », organisés par le projet pour des leaders politiques, ont pu faciliter un dialogue objectif et neutre alors que le climat général était tendu, et ont ainsi servi à informer les agences humanitaires sur les défis liés aux parasitoses intestinales. De plus, le projet a permis de rassembler et de créer de solides bases d’informations pour la période post-conflit.

La confiance des populations et la bonne connaissance du terrain et du cadre institutionnel sont des atouts susceptibles de favoriser une mobilisation rapide et souple des chercheurs bien qu’ils ne possèdent pas nécessairement le matériel et la formation pour conduire une aide humanitaire. La zone de l’Ouest de la Côte d’Ivoire a été le théâtre des affrontements sévères, et la division des populations a été profonde. Les équipes du CSRS ont été les premières à arriver dans certains villages depuis l’éclatement du conflit. Le renouement rapide avec les populations rurales à l’Ouest a été aisé et apprécié tel que le montre ce témoignage: « Nous n’avons pas vu des étrangers depuis que la guerre a commencé ! Dieu merci, vous êtes venus nous aider ». A travers des enquêtes dans près de 100 villages, nous avons pu écouter les autorités et les habitants et leur apporter un soutien moral, une lueur d’espoir.

Le projet a aussi permis de poser des actes concrets. Il est apparu qu’il serait moins coûteux d’apporter les médicaments aux populations que d’amener les malades vers les médicaments – concentrés essentiellement dans l’hôpital du district. Les caisses à pharmacie rurales ou scolaires sont un outil d’auto-assistance qui est disponible dans le village et géré par la population, mais elles sont approvisionnées par le District sanitaire. L’installation d’une centaine de caisses à pharmacie a permis de mettre à disposition des populations rurales des médicaments de première nécessité à des prix et de qualité comparables à ceux fournis par la Santé Publique. La formation et le suivi des comités de gestion de ces caisses a constitué des cadres d’échange, de diffusion de message de paix, et de décision concertée au sein des différentes communautés.

Le projet n’a pas atteint toutes les populations de l’Ouest, et notre activité s’est limitée au niveau d’un appui à l’autogestion sanitaire. Toutefois, il nous a été possible d’aller au-delà des zones d’implantation de nos sites de recherche, la superficie ainsi couverte est passé de de 3000 km2 à 10'000 km2 (un quart de la superficie de la Suisse) au travers et au-delà de la zone militaire tampon. L’aide humanitaire restera la tâche des structures professionnelles, qui ne sont nullement remises en causes par les partenaires scientifiques, mais qui sont fortement complémentaires.

Préparer la reconstruction : appuyer les services de l’état

Les services de l’état, comme par exemple l’éducation primaire et la santé publique, sont en train de se réinstaller dans la zone non gouvernementale au nord de la zone militaire tampon. Ces services sont, entre autres, confrontés à la difficulté de regagner la confiance des populations après que la crise ait entraîné le départ de la majorité du personnel et la dévastation des installations. Dans ces conditions précaires, nos activités ont aussi constitué une plate-forme d’action et de réinsertion pour ces responsables et agents des districts sanitaires. Les caisses à pharmacie ont été remises officiellement au district sanitaire et ces caisses devraient, d’après le Ministère de la Santé Publique, devenir les premiers échelons du système sanitaire futur. Cette appropriation pourrait contribuer à établir une masse critique suffisante pour ce service et à sa réinsertion dans les populations. La même approche sera utilisée dans les 18 mois à venir pour la mise en œuvre d’une lutte intégrée contre les parasitoses intestinales qui sera basée sur les données recueillies sur la bilharziose intestinale et les géohelminthes. En s’appuyant fortement sur le système d’éducation primaire, la sensibilisation contre ces maladies sera réalisée sur la base des données des travaux sociologiques menées aussi au cours de la crise. En stimulant une forte collaboration entre le système sanitaire et celui de l’éducation, le déparasitage régulier sera amorcé au niveau des écoles primaires. Les scientifiques se mettront de plus en plus à l’arrière plan durant cette phase, et transféreront les activités opérationnelles aux services compétents.

Est-ce que les agences humanitaires internationales peuvent facilement assumer ce rôle de création de durabilité, avec les changements fréquents des ressources humaines, la charge énorme de travail, et parfois le manque de collaboration ? Dans une société Ouest-Africaine, où la relation personnelle est souvent plus importante que la relation professionnelle, le chercheur reconnu par les populations et familier avec le terrain peut jouer un rôle de catalyseur pour la reconstruction grâce au capital de confiance qu’il a acquis à partir de ses travaux sur le terrain, mais aussi par la mise à disposition des données actualisées et la formation des acteurs.

Conclusion

Sans s’être implanté dans la zone avec des installations fixes et un personnel sur place, mais en travaillant avec des chercheurs compétents et motivés qui sont bien insérés dans un réseau d’acteurs, le projet a constitué une expérience importante qui pourra servir dans des situations pareilles. Il est donc important que le financement d’un centre international de recherche soit assuré particulièrement en situation de crise, et que son portfolio intègre des composantes novatrices visant à la sortie de crise et à la reconstruction par des actions directes, par la mobilisation de son réseau, et par la valorisation du potentiel de confiance qu’il a su construire dans ses activités. Les centres de recherches scientifiques, comme l’illustre le cas présenté, devraient être considérés comme des partenaires clés pour les agences d’aide humanitaire et de développement dans les zones affectées par des conflits.
Auteurs et remerciements

*Andres B. Tschannen est directeur adjoint du CSRS (contact : andres.tschannen@csrs.ci) et coordinateur au CSRS du projet DDC pour la réconciliation en Côte d’Ivoire. Jürg Utzinger (Institut Tropical Suisse ; juerg.utzinger@unibas.ch) et Eliézer K. N’Goran (Université d’Abidjan-Cocody ; eliezerngoran@yahoo.fr) collaborent depuis près de 10 ans sur l’epidemiologie et le contrôle intégré des parasitoses intestinales dans la zone de Man en Côte d’Ivoire, et ont publié de nombreux articles à ce sujet. Guéladio Cissé (gueladio.cisse@csrs.ci) est l’actuel directeur du CSRS, et chef du projet DDC au CSRS. Son prédécesseur et initiateur du projet, Olivier Girardin (olivier.girardin@frij.ch) est directeur de la Fondation Rurale Inter-Jurassienne en Suisse. Marcel Tanner est le directeur de l’Institut Tropical Suisse (marcel.tanner@unibas.ch) et le président de la commission du CSRS de l’Académie Suisse des Sciences Naturelles. Nous remercions la Direction du Développement et de la Coopération Suisse pour le financement du projet « Contribution de la DDC au Processus de la Réconciliation en Côte d’Ivoire».

Sources d‘information

Références:

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  • Doré O, Benoît A & Engmann D (2003). Regional impact of Côte d'Ivoire's 1999-2000 sociopolitical crisis: an assessment. WP/03/85, 35p. IMF Working Paper.
  • N’Goran EK, Utzinger J, Traoré M, Lengeler C & Tanner M (1998). Identification rapide par questionnaire des principaux foyers de bilharziose urinaire au centre de la Côte d’Ivoire. Médecine Tropicale 58: 253-260.
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Health in Emergency: Berichte und Analysen schweizerischer Organisationen