Les défis de la santé en milieu urbain précaire

«Il ne suffit pas de balayer devant sa cour pour rendre le quartier propre!»

Von Fabou Keita

Est-ce la vie en milieu urbain qui offre une meilleure condition sanitaire à cause de l’accessibilité aux infrastructures socio-sanitaires et aux produits pharmaceutiques? Les différences entre milieux urbain et rural ne sont cependant pas aussi claires et de grandes variations existent en milieu urbain. L’exemple de la commune de Kalabancoro au Mali.

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Le Mali est l’un des pays le plus pauvre du monde. La majeure partie de sa population pratique l’agriculture de subsistance non irriguée mais le climat est rude, et les Maliens vivent continuellement sous la menace de la sécheresse. Le taux d’alphabétisation des adultes, d’environ 24%, figure parmi les plus bas du monde. Les services d’éducation sont peu développés et sur les 51% d’enfants scolarisés au primaire, les filles sont toujours défavorisées. Ces indicateurs sont importants, car la situation économique défavorable et la faiblesse des revenus brident la demande des services de santé et favorisent l’existence de conditions qui prédisposent la population à la maladie et à la mauvaise santé. C’est ainsi que l’espérance de vie à la naissance est seulement de 54 ans (Unicef, 2006).

Sur l’ensemble du territoire, qui est très vaste et représente 30 fois la superficie de la Suisse, la densité de population est faible (9,9 habitants/km²). Mais l’exode rural a tendance à s’accroître et actuellement, 30.5% des 13'518’000 habitants vivent en zone urbaine. Selon les statistiques, les conditions de vie entre milieux urbain et rural sont cependant très différentes. C’est ainsi que le pourcentage de la population utilisant des sources d’eau potable améliorées varie du simple au double entre le milieu rural (36%) et le milieu urbain (78%). Il en est de même en ce qui concerne l’assainissement: 59% de la population a accès à des installations d'assainissement adéquates en milieu urbain, contre 39% en milieu rural.

La situation sanitaire dans les centres urbains: chance ou risque?

Ces 20 dernières années, la situation sanitaire dans les villes a beaucoup évolué dans les pays en voie de développement. Toute une série de conférences internationales ont motivé les gouvernements à prendre de nombreuses mesures pour améliorer l’accès et la santé des populations, notamment par des campagnes de vaccination contre les maladies cibles, la lutte contre les maladies tropicales négligées, la prévention du paludisme, la distribution de moustiquaires imprégnées, la création des centres de dépistage et de traitement de la tuberculose et d’infection à VIH/SIDA, etc. Des centres de santé communautaire (CSCOM) ont été crées en grand nombre pour faciliter l’accès aux soins.

En milieu urbain, des structures sanitaires de différents niveaux (CSCOM, centres de santé de référence, Hôpitaux, cliniques et cabinets de soins privés) se côtoient et l’existence de nombreuses infrastructures socio-sanitaires ont contribué à une amélioration de l’état de santé.

Les gens qui vivent en ville ont plus de moyens financiers que ceux qui vivent en campagne, car la ville est le centre de convergence des affaires, le carrefour des échanges, le point de charge et de rupture des stocks de tout genre, le lieu de concentration par excellence des activités génératrices de revenus, ou rémunératrices.

Bien que ces opportunités attirent de nombreuses populations vers les centres urbains, ces derniers sont souvent peu hospitaliers. Les populations, en vidant le milieu rural, créent des agglomérations qui oscillent autour des centres urbains mais sans y être véritablement intégrés. Ces îlots d’habitation se greffent rapidement aux centres urbains à la faveur d’une urbanisation incontrôlée mais sans pour autant être accompagnée par une politique sanitaire appropriée.
De plus, les maladies spécifiques qui sont liées à l’urbanisation, constituent une entrave supplémentaire au développement des communautés qui y vivent. Dans ce contexte, l’urbanisation est loin d’être une chance pour la santé.

Le paradoxe de l’urbanisation en matière de santé

En apparence, la situation sanitaire en ville parait meilleure en raison de l’existence de nombreuses infrastructures médicales. En réalité, le problème est plus complexe. Les hôpitaux publics et les centres de santé sont pris d’assaut quotidiennement par les malades mais peu d’entre eux en sortent satisfaits. Cet état de fait s’explique par le sous-équipement, le mauvais accueil, la vétusté des équipements qui donnent des résultats peu fiables, la limitation du nombre de malades à consulter par médecin; l’insuffisance de personnel qualifié et le manque de structures d’accueil pour les hospitalisations…Ce tableau s’amplifie par une double utilisation du même personnel sanitaire qualifié au niveau des structures publiques et des structures privées. Plusieurs raisons expliquent cet état dont la recherche rapide de gain substantiel.

En effet, à côté des hôpitaux publics, une floraison d’infrastructures socio-sanitaires privées de tout genre est manifeste. Disposant de meilleures technologies, les structures sanitaires privées offrent souvent de meilleurs services (accueil, diagnostics, analyse, prise en charge). Par contre, la plupart des structures sanitaires privées n’est pas à la portée de la bourse du citoyen moyen en raison des frais élevés.

L’offre insuffisante des structures publiques et l’inaccessibilité des structures privées expliquent la prolifération des « pharmacies par terre » et le recours, par une grande partie de la population, à l’automédication.

Ce n’est pas la vie en milieu urbain qui offre une meilleure condition sanitaire mais plutôt l’accessibilité aux infrastructures socio-sanitaires et aux produits pharmaceutiques.

La zone de projet: Kalabancoro – milieu rural dans la ville

Les différences entre milieux urbain et rural ne sont par ailleurs pas aussi claires et de grandes variations existent en milieu urbain. L’exemple de la commune de Kalabancoro illustre la complexité du lien urbanisation et santé.

Bâtie à l’origine sur des sites éloignés de la capitale du Mali Bamako, la commune de Kalabancoro compte aujourd’hui 71'000 habitants. Elle s’est vite retrouvée contiguë au District de Bamako par l’expansion démographique et une urbanisation incontrôlée. La proximité de la ville joue également un rôle car elle paie de plein fouet le manque de planification urbaine. Caractérisée par un manque de dépotoirs de transit et de décharges finales, elle est devenue le dépotoir par excellence des déchets de toutes natures du District de Bamako. Le site a d’ailleurs été qualifié par un journal local de «royaume de la pourriture et du désordre» (ESSOR, N° 15839, 28 Novembre 2006).

Malgré sa proximité de la capitale, Kalabancoro a toujours le statut d’une commune rurale et appartient au cercle de Kati, La dénomination de commune rurale influence la hauteur des subventions par l’Etat qui est orienté vers des besoins ruraux.

C’est ainsi que la proximité du District de Bamako a conféré à la commune de Kalabancoro deux visages différents. D’une part, une minorité des «villages» frontaliers avec le District de Bamako ont pris l’appellation de quartiers. Ils possèdent quelques infrastructures plus ou moins équipées (eau, électricité, centres de santé, écoles, complexe sportif). D’autre part, les 14 villages restants, situés dans un rayon de 30 km du District de Bamako, présentent une organisation sociale et un mode de vie caractéristique du milieu rural.

De manière générale, la population est pauvre, l’eau potable est rare et à côté de cette pénurie, Kalabancoro ne dispose d’aucun système d’assainissement, ni de dépôt de transit d’ordures, ni de canalisation pour drainer les eaux de ruissellement. Suite à l’absence de dépotoirs des transits, les familles se débarrassent des ordures dans la rue. Pendant la saison des pluies, l’eau est stagnante. Des nuées d’insectes, les restes de nourriture pourrie et des cadavres d’animaux dégagent des odeurs pestilentes qui rendent la vie difficile. La population et surtout les enfants de ces quartiers périphériques sont victimes de la pollution et des maladies liées à l’insalubrité: infections pulmonaires, diarrhées et paludisme.

Les défis: lutter pour la santé à Kalabancoro

Le projet mis en place par le GAD (groupe – action –développement) avec l’appui de IAMANEH Suisse lutte pour l’amélioration de la santé infantile et l’amélioration du cadre de vie de ces populations exposées aux risques de maladies de toutes sortes. Les défis pour une amélioration de la santé se situent à différents niveaux et concernent différents acteurs :

- Renforcement du lobbying des populations. L’organisation par exemple d’un atelier de concertation des intervenants a permis de renforcer le processus de recherche et d’identification d’un dépotoir de transit dans chaque secteur.
- Faciliter l’approvisionnement en eau potable par l’appui à la construction de forages.
- Appui au Centre de Santé communautaire par la mise à disposition de matériels médicaux et la construction d’infrastructures appropriées.
- Appui à la construction de latrines dans le quartier, notamment aussi dans des lieux publics et des écoles
- Activités d’information, de mobilisation et de sensibilisation au niveau des familles

Les stratégies adoptées sont la mobilisation sociale de la population des villages et quartiers, le développement d’une démarche participative pour toutes les actions, le développement du plaidoyer auprès des autorités communales et de celles du District.

C’est à travers des activités d’information et de conscientisation que les gens ont accès à des informations qui peuvent contribuer à modifier leur comportement et habitudes au profit d’une meilleure santé. La communication avec les populations est un élément clé. L’application des règles d’hygiène et d’assainissement au niveau individuel rejoint ainsi les efforts aux niveaux politiques. Il ne suffit pas de balayer devant sa cour pour rendre le quartier propre!

Personne n’acceptera de modifier ses habitudes s’il n’est pas convaincu que le changement proposé lui donne un avantage et que ce changement est soutenu par une volonté politique de la part de l’Etat, la ville et la commune de contribuer, par des mesures appropriées, à résoudre les problèmes d’assainissements, de financement et de santé de ces quartiers.

*Fabou Keita, Directeur GAD, avec la participation de l’équipe du projet et du Médecin chef du CSCOM de Kalabancoro.

Rédaction: Viviane Fischer et Maya Natarajan, IAMANEH Suisse. Contact: vfischer@iamaneh.ch