Des partenariats pour améliorer la santé des mères et des enfants: que faisons nous en réalité?

Commençons à espérer - ici et maintenant!

Von Annie Portela und Carlo Santarelli

La santé maternelle et infantile est un des domaines révélant de la manière la plus crue et la plus choquante les inégalités au niveau international. Ces inégalités ne sont pas une fatalité et ne sont pas seulement dues à des différences culturelles ou sociales, mais sont avant tout une des conséquences d’un monde injuste où toutes les femmes, les enfants et les familles ne sont pas égaux face aux déterminants de la santé et à l'accès aux services de santé. Une convergence des efforts et des ressources, dans le cadre de partenariats de différents acteurs et à tous les niveaux pourrait permettre de commencer à inverser la tendance et de commencer à espérer. Même si bien entendu la portée de ces améliorations restera fortement limitée tant que le système international sera basé sur la loi du plus fort, ainsi que sur les intérêts nationaux et ceux des multinationales. Mais commençons ici et maintenant, et voyons ce que notamment les organisations non gouvernementales (ONG) suisses peuvent faire pour promouvoir les partenariats nécessaires en faveur de la santé maternelle et infantile.

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Le rapport sur la santé dans le monde 2005 de l’Organisation Mondiale de la Sante (OMS) relève que chaque année plus de 529'000 femmes meurent de causes liées à la grossesse ainsi que plus de 10.6 million enfants de moins de 5 ans, dont 37% pendant le mois qui suit la naissance. Mais ce qui frappe et choque encore plus c’est que 99% des décès maternels se produisent dans des pays à faible revenu, principalement en Afrique subsaharienne et en Asie du Sud. Cette inégalité ne fait qu’illustrer de manière terrible le fossé qui sépare ces pays à faible revenu de pays plus riches tels que la Suisse. Une Afghane a 1 risque sur six de décès maternel durant sa vie contre 1 risque sur 7'900 pour une Suissesse. Ce taux est de 1 sur 16 pour l’Afrique subsaharienne alors que la moyenne des pays à haut revenu est de 1 sur 2'800! Une tragédie permanente et trop silencieuse que vivent des dizaines de millions d’enfants, de femmes et de familles dans le monde.

Les objectifs ne seront pas atteints…

Pour répondre à de telles situations, l’ensemble des pays et des principales institutions internationales de coopération au développement a élaboré les Objectifs du Millénaire pour le Développement, au sein de l’ONU. L’intention était de galvaniser et de concerter les efforts en faveur des pays les plus pauvres, dans les domaines les plus critiques. Deux sur huit de ces objectifs sont directement consacrés à la santé de la mère et des enfants: l’objectif 4 qui vise à réduire de deux tiers la mortalité infantile entre 1990 et 2015 et l’objectif 5 qui vise sur la même période à réduire de trois quarts le taux de mortalité maternelle.

Les évaluations périodiques sur les progrès enregistrés dans l’atteinte de ces objectifs indiquent que la plupart des pays ne seront pas en mesure d’atteindre les objectifs qu’ils se sont fixés et que, partant, les Objectifs du Millénaire pour le Développement ne seront pas atteints. Une des conditions cadre pour l’atteinte de ces objectifs, en 2015 ou plus raisonnablement au delà de cette date butoir, est sans aucun doute l’implication de tous les acteurs dans le cadre d’une démarche coordonnée, et cela à tous les niveaux, sur le terrain comme dans les grands forums internationaux.

Une évolution intéressante dans cette direction est la mise en place en septembre 2005 du Partenariat pour la Santé Maternelle et Infantile, regroupant en son sein les trois plus grandes alliances internationales d’acteurs, qui chacune avait trait soit à la santé maternelle, soit à la santé néonatale ou encore à la santé infantile. Le Partenariat préconise une approche assurant un „continuum d’attention“ de la grossesse jusqu’à la période infantile, partant d’une vision de l’absolue et évidente interdépendance de la santé maternelle, de la santé néonatale et de la santé infantile. Cette démarche vise également à réduire la duplication des efforts, à augmenter efficacité de l’aide et à limiter la compétition ouverte entre les différentes agences et institutions pour l’accès aux financements internationaux. L’intégration au sein du Partenariat de ces trois grandes alliances thématiques, qui symbolisaient la dispersion des efforts, représente également une reconnaissance explicite de l’impossibilité pour une seule organisation et même pour une seule alliance de répondre aux multiples défis.

Mais nous devons aller encore plus loin, car, comme démontré par l’approche de Promotion de la Santé (Charte d’Ottawa, OMS 1985), la santé ne peut être améliorée uniquement avec des actions au sein du secteur de la santé, et une attention particulière doit être accordée aux efforts intersectoriels reliant les activités sociales et de développement aux questions maternelles, néonatales et infantiles. Les déterminants de la santé sont multiples et la collaboration interinstitutionnelle est dès lors une nécessité.

Collaborer avec les individus, les familles et les communautés

Sur le terrain, des approches s’étendant à tout un secteur sont parfois promues pour instaurer des mécanismes de mise en commun des ressources nécessaires dans le cadre de planifications communes, dans une démarche de meilleure gestion des coopérations et de leurs résultats. Malheureusement, ni les ONG ni encore moins les organisations communautaires ne sont en général intégrées à ces mécanismes où participent essentiellement les grandes agences internationales et les coopérations bilatérales.

Mais les recommandations de collaboration et d’alliance ne doivent pas être uniquement adressées aux organisations de coopération nationales et internationales. Sur le terrain, des changements d’approche sont également nécessaires. L’approche préconisée par l’OMS et intitulée „Collaborer avec les Individus, les Familles et les Communautés (IFC) pour améliorer la santé maternelle et néonatale“ (2003) propose un cadre d’intervention novateur visant à développer la collaboration et l’interaction entre différents acteurs, et notamment entre d’une part les individus, les familles, les communautés et d’autre part les services de santé.

Basée sur une implication des principaux intéressés, qui d’objets d’attention et de soins deviennent des sujets, elle postule que pour améliorer la santé maternelle, néonatale et infantile, le développement des services de santé doit aller de pair avec le développement des personnes et des communautés. Les buts sont à la fois de renforcer les capacités des individus, des familles et des communautés à mieux prendre soin de soi et se prendre en charge, mais également de garantir que les femmes et les nouveau-nés aient accès à l’attention qualifiée dont ils ont besoin, au moment où ils en ont besoin.

La collaboration avec les individus, les familles et les communautés est ainsi dans cette approche un élément déterminant pour garantir l’indispensable continuum d’attention recommandé tant du foyer jusqu’au dernier niveau de référence, que de la grossesse jusqu’à la période infantile. L’OMS reconnaît en cela que la seule disponibilité de services de santé, même s’ils sont de qualité, ne produira pas les résultats escomptés si les conditions ne sont pas réunies pour être en bonne santé, pour prendre des décisions favorables à la santé et pour être capables d’y donner suite au niveau des individus, des familles et des communautés.

L’approche préconise également l’établissement et le développement de réseaux sociaux, capables de collaborer et d’interagir avec les réseaux de services de santé. C’est grâce à l’interaction entre ces deux réseaux que les ressources et les capacités du système de santé sont maximisées. Les partenariats entre individus, communautés, organisations et autres acteurs du système de santé et au niveau communautaire constituent la base des réseaux sociaux qui peuvent valablement contribuer à l’analyse de la situation, à la recherche de solutions, à des améliorations de la qualité des soins, à la mobilisation des ressources, au plaidoyer local et national, etc.

Créer des alliances

Mais bien qu’il soit important de permettre à la communauté de travailler plus intensivement avec les services de santé, il est tout aussi important d’inciter les services de santé à travailler avec la communauté. C’est de part et d’autre qu’il faut avoir la volonté et la vision d’interagir, de considérer que les problèmes de santé ne sont pas seulement la responsabilité des professionnels de la santé et que tout un chacun peut contribuer valablement à l’amélioration de la situation, dans le cadre d’une démarche concertée. Du côté des ONG, de nombreux programmes de santé communautaire sont malheureusement menés sans lien organique avec les services de santé, sans une analyse et une action commune pour répondre ensemble aux défis, en utilisant les ressources à disposition.

Plusieurs expériences de mise en œuvre de cette approche IFC sont en train d’être menées, chacune à des stades de développement différents, notamment au Bangladesh, en Bolivie, au Burkina Faso, à El Salvador, au Guatemala, en Haïti, en Moldavie et au Paraguay. Enfants du Monde a joué des rôles différents dans ces démarches menées au niveau international, national et local. Avec des collègues de l’OMS, de l’Organisation Panaméricaine de la Santé (OPS) et avec des partenaires locaux, des réflexions ont été menées sur la nécessité de créer des alliances et de mettre en place des programmes interinstitutionnels. Nous voudrions faire ici un bref détour par quelques unes des leçons apprises dans ces différentes expériences.

…et les mettre en œuvre!

Les difficultés qui nous interpellent le plus sont celles relatives aux résistances liées au travail intersectoriel et à la concertation des actions. Il est facile de prôner l’interaction et le partenariat, il est relativement aisé d’arriver à des accords, il est même possible d’aboutir à l’élaboration de programmes communs, mais que tout cela est difficile à mettre en œuvre! Les habitudes sont difficiles et longues à changer et même au sein de programmes communs les tendances sont persistantes à travailler de manière isolée, avec une „démarche projet“, où l’essentiel est d’atteindre les résultats … attendus (d’ailleurs plutôt quantitatifs en général), afin d’obtenir de nouveaux financement auprès des bailleurs de fonds. L’intérêt supérieur est trop souvent de démontrer l’efficacité, la valeur, le rôle, voire la suprématie de sa propre institution sur les autres engagées dans le programme commun.

Prendre des décisions en commun n’est pas chose aisée, surtout entre des institutions aussi différentes que l’OMS, des ONG locales et internationales, un Ministère de la Santé, des services de santé décentralisés et des organisations communautaires. Qui plus est, ce travail en commun est souvent réalisé en sus des obligations institutionnelles courantes. Insuffisamment de temps et de personnel sont dégagés pour participer tant à la planification qu’à la réalisation des programmes communs, qui restent plutôt l’exception que la règle au sein des institutions. Il est aussi nécessaire de démontrer au sein de sa propre institution que travailler en commun est profitable, que l’autre ou les autres acteurs ont des compétences complémentaires à mettre en jeu, et que ces compétences sont profitables à l’ensemble du programme ou encore qu’elles ne mettent pas en péril sa propre institution. Autre enjeu important: développer un langage commun afin que tous et toutes aient une compréhension si ce n’est commune du moins suffisamment proche pour pouvoir se comprendre. Enfin, il est également difficile de passer de relations de collaborations historiquement plutôt bilatérales entre certains acteurs du Nord et du Sud, à des démarches, des communications et des accords multilatéraux.

Face à ces difficultés, qui peuvent être surmontées, mais dont il faut tenir compte, plusieurs éléments sont susceptibles d’améliorer les choses. Tout d’abord, la coopération internationale doit s’insérer dans des actions menées et gérées par les acteurs locaux, et notamment par les Etats, afin d’éviter ainsi les actions parfois désordonnées d’ONG internationales. L’Etat, responsable constitutionnellement d’assurer à tous et à toutes une attention en santé de qualité, mais aussi d’autres services, tant au niveau national que dans ses représentations décentralisées, doit être l’acteur central permettant cette concertation. Cela est possible dans la plupart des pays.

L’exemple d'Haïti

Des expériences intéressantes de ce point de vue sont menées dans un pays aussi sinistré qu'Haïti, avec un Etat qui a peu de moyens et de présence. Pays où plus de 520 femmes sur 100’000 meurent lors de leur accouchement ou des suites de ce dernier (ce taux est de 33 à Cuba et de 17 aux Etats-Unis), le Ministère de la Santé appuie depuis plusieurs années l’approche des “Unités Communautaires de Santé (UCS)“. Cette approche permet de regrouper non seulement les différentes organisations non gouvernementales nationales et internationales œuvrant dans le domaine de la santé dans une région donnée, mais également des prestataires de soins et surtout le Ministère de la santé haïtien lui-même.

De telles démarches permettent en Haïti, dans plusieurs communes de l’Artibonite, d’assurer une réelle couverture de base en santé maternelle et infantile incluant non seulement des consultations médicales et des actions curatives, mais également des conseils et une éducation en santé, la mise sur pied d’un système d’assurance maladie et surtout l’organisation d’un réseau de santé communautaire intégrant les zones les plus reculées et impliquant les communautés dans les décisions relatives à la santé.

Un programme avec une telle dimension n’est possible qu’avec la participation de différents acteurs, apportant chacun sa spécialité et ses compétences. L’UCS facilite la coordination entre les acteurs publics et privés afin de développer des planifications sanitaires cohérentes aux niveaux local, intermédiaire et national. C’est là donc un autre facteur favorable: l’élaboration de cadres d’orientation au niveau de l’Etat facilitant le partenariat et la mobilisation des ressources.

Identifier et exploiter les ressources cachées

A ce point, il faut relever qu’il existe un nombre considérable de structures qui ne sont pas prises en compte au moment de mettre en œuvre des programmes. Elles se trouvent dans le secteur de la santé, mais aussi en dehors (par exemple, les organisations de femmes, de jeunesse et agricoles, les organisations sportives, etc.). Ces structures sont des “ressources cachées” qui pourraient être exploitées pour améliorer la santé des femmes et des enfants. Ces ressources internes aux communautés sont d’ailleurs plus efficaces et plus légitimes que de nouvelles structures établies par des programmes, qui ne font souvent que naître et disparaître. Les programmes devraient identifier ces ressources dès le départ.

Au niveau de la communauté, il existe aussi une vaste gamme de personnes qui travaillent à l’amélioration de la santé. Certaines sont des agents de santé qui travaillent dans un cadre bien défini, public ou privé. D’autres sont des fournisseurs de soins reconnus par leur communauté, tels que les guérisseurs traditionnels ou les matrones traditionnelles. La qualité des soins et des conseils prodigués par ces prestataires dépend en grande partie de la définition des rôles et de la coordination de ces ressources avec les services de santé.

Comment faire du partenariat la règle plutôt que l’exception?

En guise de réflexion finale, face aux défis actuels sur le plan international dans des domaines aussi cruciaux que la santé maternelle, néonatale et infantile, face à la multiplication des intervenants et au développement des compétences de différents acteurs, il est nécessaire, notamment pour les ONG, de sortir d’une démarche « projet » dans laquelle l’évaluation du succès se limite à l’atteinte d’objectifs à portée locale au lieu d’envisager des changements qui, également d’un point de vue éthique, devraient (à terme) être de portée nationale et internationale. Ce n’est qu’à travers d’alliances stratégiques, locales, nationales et internationales, entre différents acteurs et en mobilisant toutes les ressources, que nous pouvons réellement commencer à penser qu’un impact positif et avec une certaine durabilité est possible.

Ces partenariats sont difficiles à mettre en place, mais de leur constitution et surtout de leur bon fonctionnement dépend l’espoir et la vision d’une amélioration de la situation. Il faut donc mettre l’accent sur ces aspects dans les années à venir. Il est nécessaire de porter notre attention sur les meilleures façons de développer des partenariats, à tous les niveaux, pour qu’ils deviennent efficaces et porteurs d’espoir, de chercher les meilleures façons de faire, qui sont à la fois en rupture et en continuité par rapport aux approches et aux pratiques passées. Ces démarches de partenariat et d’amélioration de la qualité du travail ne sont bien entendu pas limitées au champ de la santé et devraient être étendues à l’ensemble des démarches de développement.

Les mises en place de partenariats entre des institutions, mais aussi dans le cadre d’une véritable démarche de collaboration avec les femmes, les hommes, les familles et les communautés, sont des processus qui demandent assurément plus de temps, qui sont plus lents et plus complexes, mais qui en dernière instance peuvent garantir une plus grande appropriation et durabilité des résultats obtenus. Il s’agit de développer des capacités et d’utiliser les ressources existantes en „faisant avec“ plutôt que „faire pour“ ou „en faveur de“.

Derrière et au-delà de ces convictions, des questions, des questionnements plutôt que des réponses en l’état : Tant pour les ONG que pour les autres acteurs, quelles sont les implications d’une démarche de partenariat à tous les niveaux, notamment au niveau des manières de travailler et des compétences internes à développer ? Comment s’insérer de manière efficace dans des efforts coordonnés et participer à des démarches communes ? Comment faire du partenariat la règle plutôt que l’exception ? Par exemple, en sollicitant une participation plus active, décidée et importante des organisations suisses dans le Partenariat pour la Santé Maternelle et Infantile ? A nous tous et toutes de chercher des éléments de réponse.

*Carlo Santarelli, Enfants du Monde (EdM), Genève, Suisse; contact: secretairegeneral@edm.ch, www.enfantsdumonde.ch. Annie Portela travaille au Département "Pour une grossesse à moindre risque" de l‘Organisation Mondiale de la Santé (OMS), Genève, Suisse; contact: portelaa@who.int. Les opinions exprimées dans cet article sont exclusivement celles de l'auteur et ne représentent donc pas nécessairement celles de l’OMS.

Références:

Les Objectifs du Millénaire pour le Développement de l’ONU. www.un.org/french/millenniumgoals/

The Partnership for Maternal, Newborn and Child Health. www.pmnch.org

World Health Organization. Making a difference in countries: strategic approach to improving maternal and newborn survival and health. Geneva, The World Health Organization, Department of Making Pregnancy Safer, 2006.

World Health Organization. Working with individuals, families and communities to improve maternal and newborn health. Geneva, The World Health Organization, 2003. WHO/FCH/RHR/03.11

L’approche d’EdM en matière de santé. www.enfantsdumonde.ch/fr/sante.php