Une initiative locale victime de la mondialisation?

Les Mutuelles Pharmacies Communautaires de Madagascar

Von Eric Burnier

Par son enracinement dans la culture des Hauts-Plateaux de Madagascar, par la transparence de sa gestion et son fonctionnement démocratique, le mouvement des Mutuelles Pharmacies Communautaires participe d’un esprit de responsabilisation et d’appropriation par la communauté, d’équité, et de lutte contre la pauvreté. Aujourd’hui, les Mutuelles Pharmacies Communautaires sont menacées par la concurrence d’un système introduit par l’Etat dans l’esprit de la « mondialisation ».

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«Continent de Lémurie » sur les anciennes cartes du Monde, Madagascar est à bien des égards un pays à part. A 400 km des côtes africaines, abritant une faune et une flore extrêmement originales, elle n’a été touchée par l’homme, venu d’Indonésie, que vers l’an 1000. Mais au métissage culturel actuel, la langue malgache et, du moins sur les Hauts-Plateaux, la forte culture autochtone, lui donnent une unité qui frappe tout visiteur. Immense par sa taille (superposée sur une carte européenne, l’île s’étend de Copenhague à Naples), très montagneuse, soumise régulièrement aux cyclones dévastateurs, aux sécheresses ou aux invasions de criquets, Madagascar doit affronter pour son développement des difficultés énormes, à commencer par celle des communications, de grandes parties de l’île n’étant accessibles par pistes qu’en saison sèche et beaucoup de hameaux seulement à pied. Indépendant depuis le 26 juin 1960, le pays a conservé de la période coloniale, outre la langue française pour l’enseignement supérieur et l’administration, un système de gouvernement très centralisé, et des liens plus forts avec Paris qu’avec toute capitale africaine.

Dans la tradition du « fihavanana »

Sur le plan de la santé, l’accroissement démographique se combinant à l’isolement et l’éloignement des villages, l’approvisionnement en médicaments, gratuits, devint rapidement un grave problème et, faute de pouvoir se soigner, la population connaissait une forte mortalité notamment lors d’épidémies, telle que la rougeole qui frappa le pays en 1973. C’est le 26 avril de cette année qu’à l’initiative de quelques leaders de la communauté, de membres de la section locale de la Croix-Rouge et avec l’appui technique de l’infirmier chef de poste de Mandalahy, dans la région de Fianarantsoa, la première Pharmacie Communautaire est créée. Le principe en est simple : dans le respect du « fihavanana », forme d’entraide communautaire bien en place pour les travaux agricoles, des habitants ont l’idée de créer un fonds commun, constitué par les revenus d’une vente aux enchères des produits apportés par les « cotisants » : riz blanc et canards. Ce premier fonds permettait à l’infirmier prescripteur d’acquérir un lot de médicaments, selon les statuts et le règlement intérieur de la mutuelle élaborés par le bureau et soumis à l’approbation de l’assemblée générale. Création purement malgache donc, dans la philosophie du « c’est l’esprit, valeur fondamentale, qui fait l’homme », cette première mutuelle Phacom suscitait rapidement, par le voisinage des communautés, la naissance d’un réel mouvement mutualiste entraînant un nombre croissant de nouvelles Phacom à s’ouvrir.

Appui et succès

Quelques années plus tard, entendant parler de cette initiative et des difficultés qu’elle connaissait, notamment dû au fait qu’une bonne partie des fonds servait à payer le transport des délégués allant s’approvisionner à la capitale – où ils n’étaient pas toujours bien conseillés dans leurs achats – feu le Dr Silvio Berthoud proposa de mettre ses compétences à leur service pour regrouper les commandes, établir des priorités sur la liste des médicaments essentiels, rationaliser l’ensemble en lui conservant sa transparence et sa dynamique. En 1986, l’appui à la trentaine de Pharmacies Communautaires existantes devient l’axe principal du programme santé de la DDC à Madagascar, confié en régie à l’Institut Universitaire d’Etudes du Développement (IUED).

En 1989, le « Guide de création et la gestion d’une Pharmacie Communautaire », est rédigé (en malgache) à la recommandation du Ministère de la Santé et avec l’appui de l’IUED, dans un but d’harmonisation du système. La « mutuelle Phacom » acquiert le statut d’association à but non lucratif, basé sur le paiement anticipé d’un stock de médicaments essentiels – variable selon les possibilités financières de chaque communauté – par les familles intéressées. Les cotisations forfaitaires en espèces ou en nature (de l’ordre de 2-3 $ par famille) sont prélevées au moment des récoltes et assurent, pour le cotisant et sa famille, la gratuité des médicaments de la Phacom, pour autant qu’ils soient disponibles. A ce fonds s’ajoute le revenu de manifestations, fêtes ou ventes aux enchères.

L’ensemble des cotisants, généralement entre 20 et 50 % de la communauté, constitue l’assemblée générale par localité, qui élit un comité de gestion. Ce comité élabore le règlement intérieur et élit en son sein le bureau exécutif, responsable de la gestion financière et des médicaments. 70 à 80 % des fonds servent à l’achat des médicaments, le reste au fonctionnement de la Phacom. Une Phacom ne peut voir le jour que si elle est proche d’un prescripteur diplômé, chef de poste, qui joue le rôle de conseiller technique. Il appartient au médecin-inspecteur, responsable du district-sanitaire, d’assurer la supervision de l’ensemble, contrôler les commandes, transmettre les dossiers.

Même s’il n’est pas possible d’estimer dans quelle mesure les Mutuelles Pharmacies Communautaires contribuent à la baisse de la mortalité et de la morbidité, il est clair qu’en mettant à disposition localement des médicaments de qualité, régulièrement acheminés de la Pharmacie Centrale d’Achat, elles jouent un rôle dans la prise en charge immédiate des cas et donc augmentent leurs chances de guérison. D’autre part, sur la base de leur efficacité dans la réponse aux demandes de soins curatifs par la population, et parce qu’elles sont issues d’une philosophie d’entraide, les Phacom sont un excellent point de départ à une démarche de promotion de la santé, adaptée localement, que ce soit adduction d’eau, création de latrine, champs communautaires ou protection de l’environnement, voire banques de céréales.

Des nuages sur l’avenir du mouvement mutualiste

Hélas, au moment où le nombre de pharmacies atteignait les 400, que l’Unité d’Appui à la Promotion de la Santé (UAPS), dirigée par le Dr Gilles Clet Rakotomanga (qui n’a cessé d’œuvrer depuis le tout début à la promotion des Phacom) travaillait à l’élaboration des statuts de leur organisation par niveaux (Tambatras au niveau district, Vondrona au niveau province, coiffées d’une organisation nationale faîtière), les nuages commencent à s’accumuler sur l’avenir du mouvement. Bien qu’ayant signé le 7 septembre 1999 avec les MPC une convention régissant le fonctionnement des mutuelles, le Ministère de la Santé, très généreusement et largement soutenu par l’UNICEF, mettait un maximum de moyens à la promotion d’un système de recouvrement des coûts, sur la base de l’Initiative de Bamako (le système FIB-IB) et un système « rival », les pharmacies à gestion communautaire ou Phagecom. Ainsi, et en quelques mois, les communautés voyaient s’installer à côté des MPC traditionnelles, de nouveaux systèmes, non mutualistes, d’achat de médicaments à l’épisode, certes appartenant à la liste des médicaments essentiels, majoré de 35 % pour faire face aux coûts de fonctionnement.

Au lieu de permettre l’essor des Phacom sur les lieux où elles prospéraient, cette concurrence bien dans l’esprit de la « mondialisation », avec un système importé, introduisait malgré les paroles d’apaisement, d’harmonisation, et par les moyens engagés, un combat inégal et surtout la confusion dans les esprits. Manipulés par le niveau central, les prescripteurs dirigent les adhérents au système MPC vers les Phagecom, et les mutualistes, pénalisés autant de ne pouvoir obtenir les médicaments gratuitement que de devoir les payer auprès des Phagecom, sont désorientés. Il ne reste guère qu’une quarantaine de MPC actives à l’heure actuelle.

Cependant, les Phagecom connaissent aussi de sérieux problèmes et il n’est pas impossible qu’après une période de turbulence, un équilibre s’installe entre les différents systèmes, qui auraient tout intérêt, dans un pays pareillement démuni, à travailler en complémentarité, en synergie, avec leurs avantages respectifs, plutôt qu’à rivaliser à forces inégales. L’esprit mutualiste est là, et l’UAPS s’emploie à le maintenir, à réfléchir à une vision élargie, solidaire, de la promotion de la santé, à le faire évoluer vers de nouveaux systèmes d’assurance, de caisse. Ainsi l’expérience, qui a déjà un quart de siècle, va-t-elle se poursuivre, grâce à la persévérance de ceux qui l’ont accompagnée tant d’années.

*Dr Eric Burnier, Chargé de cours, Responsable du Secteur Santé de l’IUED