Une éthique chrétienne détachée de toute spiritualité est inimaginables

Éthique et Spiritualité de la santé

Von Zygmunt Zimowski

Des associations catholiques de professionnels de santé sont très engagé pour la santé globale. Le Président du Conseil Pontifical pour le Services de Santé réfléchi sur le contexte éthique de cet engagement.

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Éthique et spiritualité constituent essentiellement le propre de l’humain. Elles marquent une profonde différence entre l’homme et les autres espèces animales et appartiennent à cette première universalité dont parlait Paul VI dans sa première Lettre Encyclique Ecclesiam Suam, celle qui unit en une seule et même famille tout le genre humain (ES n. 101).

L’éthique, - faut-il le rappeler? -, concerne l’agir humain correct et droit, finalisé au bien à réaliser, ses conditions de possibilité, ses normes et critères ainsi que les moyens et modalités de sa concrète réalisation. Quant à la spiritualité, elle est d’une autre nature, d’un autre niveau, dirais-je: c’est la vie selon l’Esprit. Avec l’éthique, elle s’inscrit dans l’horizon du sens et de la transcendance.

De par leur essence et perspective plutôt pratiques, éthique et spiritualité sont des concepts qui se déclinent toujours au pluriel. Aussi s’appellent-elles réciproquement! Dans le concret, elles se présentent plus comme une exigence et une expérience bien avant d’être une élaboration théorique. Ce qui ne les empêchent pas par ailleurs d’être à la base de florissantes écoles et de bien solides traditions.

La médecine scientifique ouverte

Ainsi n’est-il donc pas étonnant qu’en raison de sa nature et sa mission religieuse, l’Église catholique ait sa propre proposition éthique et spirituelle dont la surprenante capacité de transformer la vie des personnes et des peuples balise parfaitement ce «chemin de l’Église» qu’est l’homme, le même « chemin où le Christ s'unit à chaque homme» (R.H., n. 14).

Il n’est aucun doute que l’éthique et la spiritualité révèlent tout leur sens et déploient toutes leurs richesses dans le domaine de la santé, de la souffrance et de la maladie. En raison de ses propres limites non seulement méthodologiques et de perspective mais aussi structurelles, la médecine officielle, dite aussi scientifique, laisse ouvertes beaucoup de zones franches où s’insèrent nécessairement d’autres offres, qualifiées la plupart du temps comme alternatives ou complémentaires.

Les problèmes à l’ordre du jour dans le monde de la santé constituent un gigantesque défi quotidien pour les experts comme pour les institutions. En effet, comme observait le Pape Jean-Paul II, «maladie et souffrance sont des phénomènes qui, scrutés à fond, présentent toujours des interrogations qui vont au-delà de la médecine elle-même pour atteindre l'essence de la condition humaine en ce monde» (D.H., n. 3).

Dans son enseignement sur ce point précis, non seulement l’Église fournit une base anthropologique solide à la réflexion éthique et bioéthique, mais aussi elle reconnaît expressément des responsabilités éthiques aux professionnels de la santé. Aussi tient-elle à leur rappeler que toute leur activité, aussi bien diagnostique que thérapeutique, doit être régie par la “norme éthique, fondée sur le respect de la dignité de la personne et des droits des malades» (Conseil Pontifical pour la Pastorale des Personnels de la santé, Charte des personnels de la santé, 1995, n.6).

En rapport avec l’éthique et la spiritualité de la santé, les personnes sous traitement médical comme les professionnels de la santé, chacun à son niveau, sont également concernés et protagonistes. En effet, comme la maladie touche la personne dans son intégralité, et pas seulement une partie de son corps, le service rendu aux malades par les divers professionnels de la santé embrasse lui aussi toutes les dimensions de la personne humaine: c’est-à-dire physique, psychique, spirituelle, sociale et ainsi de suite. Quant à la personne malade elle-même, elle est appelée à collaborer en toute confiance avec l’équipe soignante et, en plus, à donner sens à sa propre souffrance ainsi qu’à sa fondamentale fragilité (Cf Salvifici Doloris, 1984, 1-2).

S’agissant des personnels de santé à l’oeuvre, ils sont des semeurs d’espérance. Leurs actions et initiatives rentrent dans la catégorie de l’agir humain qualifié par le Saint-Père Benoît XVI «d’espérance en acte» (Spe Salvi n.36). Leur mission est de veiller à ce que l’éclat du «reflet des visages infinis que le Créateur prend dans ses créatures», c’est-à-dire l’homme image de Dieu, «ne soit pas voilé et que les traits de cette image ne soient pas enlaidis», puisqu’il revient de façon particulière à «ceux qui ont des responsabilités sociales directes, - et c’est le cas des personnels de la santé -, de s’employer pour que soient reconnues et parées efficacement les formes éventuelles d’intervention sur l’homme qui se révèleraient en opposition avec sa dignité de créature de Dieu» (Jean-Paul II, “Discours au Congrès mondial des médecins catholiques”, 23 oct. 1982).

Les périls derrière les appareils ultramodernes

Voilà pourquoi, dans l’accomplissement de sa mission spécifique, le Conseil Pontifical pour la pastorale des services de santé enseigne que le ministère pastoral au sein des structures sanitaires, quelques soient leurs dimensions, ne peut en aucun cas se réduire à l’administration des sacrements aux malades. Il s’agit plutôt d’une action ecclésiale où la vie sacramentelle des malades et des personnels de santé s’intègre pleinement avec l’annonce vigoureuse et continue de l’Évangile de la vie dans un monde où les périls peuvent se cacher derrière un arsenal de techniques et de dispositifs d’appareils ultramodernes ou provenir de la désolante solitude des malades laissés à eux-mêmes (Jean-Paul II, Lettre Encyclique Evangelium Vitae, nn. 14-15; Conseil Pontifical pour la Pastorale des Personnels de la Santé, Charte des personnels de la santé, n.44).

Dans la vision chrétienne catholique des services de santé, il n’est pas du tout indifférent de le relever, la guérison et la sauvegarde de la bonne santé ne sont pas la fin ultime de la vie (1 Co 15,50-53). Elles sont l’expression voilée de la soif du salut définitif ardemment désiré, irrémédiablement inaccessible par nos propres forces, mais apporté et offert par Jésus Christ. Ainsi, comme nous le rappelle le Saint-Père Benoît XVI, «… nous devons tout faire pour surmonter la souffrance, mais l'éliminer complètement du monde n'est pas dans nos possibilités – simplement parce que nous ne pouvons pas nous débarrasser de notre finitude et parce qu'aucun de nous n'est en mesure d'éliminer le pouvoir du mal, de la faute, qui – nous le voyons – est continuellement source de souffrance. Dieu seul pourrait le réaliser: seul un Dieu qui entre personnellement dans l'histoire en se faisant homme et qui y souffre. Nous savons que ce Dieu existe et donc que ce pouvoir qui “ enlève le péché du monde” (Jn 1, 29) est présent dans le monde. Par la foi dans l'existence de ce pouvoir, l'espérance de la guérison du monde est apparue dans l'histoire» (Spe Salvi, n. 36).

En bref, une éthique chrétienne qui serait détachée de toute spiritualité ou une spiritualité chrétienne coupée de toute éthique sont inimaginables. Elles seraient comme amputées, privées de leur sève vivifiante. Elles seraient éthérées, sans attache ni impact sur la vie réelle des personnes et des communautés. La sanctification du Nom de Dieu et la traduction en actes de sa volonté sont des dimensions constitutives de l’être disciple de Jésus-Christ (Mt 6, 9-10; 7,21).

Pour cela, les initiatives des associations catholiques de professionnels de santé sont extrêmement prophétiques et méritent tout le soutien nécessaire ainsi qu’un encouragement constant, ferme et convaincu. Dans sa mission, l’Église y est beaucoup attentive et accompagne constamment de sa prière vos efforts de recherche et de réflexion.

En ce sens, permettez-moi de conclure par cette prière à la Mère de Jésus, Maria Salus Infirmorum, placée par le Serviteur de Dieu Jean-Paul II à la fin de sa grande Lettre Encyclique Evangelium Vitae sur la valeur et l’inviolabilité de la vie:

O Marie,
aurore du monde nouveau,
Mère des vivants,
nous te confions la cause de la vie:
regarde, ô Mère, le nombre immense
des enfants que l'on empêche de naître,
des pauvres pour qui la vie est rendue difficile,
des hommes et des femmes
victimes d'une violence inhumaine,
des vieillards et des malades tués
par l'indifférence
ou par une pitié fallacieuse.
Fais que ceux qui croient en ton Fils

sachent annoncer aux hommes de notre temps
avec fermeté et avec amour
l'Evangile de la vie.
Obtiens-leur la grâce de l'accueillir
comme un don toujours nouveau,
la joie de le célébrer avec reconnaissance
dans toute leur existence
et le courage d'en témoigner
avec une ténacité active, afin de construire,
avec tous les hommes de bonne volonté,
la civilisation de la vérité et de l'amour,
à la louange et à la gloire de Dieu
Créateur qui aime la vie.

*Zygmunt Zimowski, Archevêque-Évêque Émérite de Radom, Président du Conseil Pontifical pour le Services de Santé (Saint-Siège)