Message sur la coopération internationale : le Conseil fédéral tente de tirer son épingle du jeu

Le conseiller fédéral Ignazio Cassis, le président Ueli Maurer et leurs collègues Guy Parmelin et Alain Berset au WEF 2019. © DFAE

 

Le 19 février 2020, le Conseil fédéral a transmis au Parlement le message sur la coopération internationale. Au regard de la version consultative, nombreux étaient ceux qui s'attendaient à une stratégie unilatéralement orientée vers la politique migratoire et les intérêts économiques. Cependant, le Conseil fédéral a considérablement amélioré le projet de loi. Les objectifs de développement durable de l'Agenda 2030 sont finalement réintégrés dans le texte. Le gouvernement fait explicitement référence à la mission essentielle de la coopération au développement - la lutte contre la pauvreté. Et il place les thèmes de l'éducation et de la santé dans les objectifs primordiaux du nouveau message.

Un simple malentendu ?

Alors que la version consultative flottait encore dans le no man's land politique, le message adopté présente des fondations beaucoup plus solides. Si on lit l’interview du conseiller fédéral en charge Ignazio Cassis par le quotidien francophone Le Temps, on pourrait conclure que tout cela était un malentendu dès le départ (« On m’a mal compris en Suisse Romande »). S'agit-il vraiment d'un malentendu ou plutôt d'une réponse calculée à un environnement politique en mutation ?

Une démarche axée sur ses propres intérêts n'est pas innovante, mais se situe simplement dans le prolongement historique du colonialisme et du néocolonialisme.

Le contexte politique du changement est essentiel pour comprendre la future stratégie de développement de la Suisse dans ses forces et ses faiblesses. Outre les changements mentionnés, il y a un aspect que le Conseil fédéral met régulièrement en avant dans sa communication sur le message désormais adopté : la stratégie en faveur des intérêts de la Suisse n'aurait jamais été axée sur les intérêts à court terme, mais toujours sur les intérêts à long terme du pays.

La question des intérêts suisses

Un autre malentendu ? Rien ne figurait à ce sujet dans le texte consultatif - seulement que les intérêts de la Suisse étaient d'importance égale aux besoins des populations concernées et représentaient la valeur ajoutée que la Suisse pouvait réaliser avec ses compétences spécifiques. Dans sa réponse de consultation détaillée, le réseau Medicus Mundi Suisse (MMS) invite le Conseil fédéral à envisager ces intérêts suisses de manière plus large : « MMS suggère que le message définisse lesdits intérêts suisses dans le cadre d'une Suisse solidaire et ouverte sur le monde, tels qu’ils émanent de notre responsabilité en tant que centre industriel et commercial mondial et siège d'un grand nombre d'organisations internationales. Enfin, le message doit fonder les intérêts de la Suisse sur un développement à long terme, durable et juste du monde. »

La version du Conseil fédéral désormais adoptée stipule : « Les intérêts de la Suisse sont des intérêts à long terme : un ordre international pacifique et juste fondé sur un multilatéralisme fort, des conditions-cadres économiques stables et favorables aux investissements, la réduction des causes de fuite et de migration irrégulière et un développement mondial durable. » (p.27)

Le Conseil fédéral recherche manifestement une base politique plus large. Dans la formulation actuelle, tous les acteurs peuvent choisir ce qui leur plaît, que ce soient la société civile ouverte et solidaire, l'industrie d'exportation active à l'échelle mondiale ou les milieux nationalistes conservateurs.

Étapes vers une coopération au développement innovante

Lors de la publication de la consultation, l'orientation du projet de stratégie sur les intérêts suisses a été saluée comme étant particulièrement innovante. Cela aurait eu pour effet d’aligner davantage la coopération au développement sur les intérêts de politique économique extérieure et de politique migratoire. Dans la version définitive, le Conseil fédéral s’écarte un peu de sa première intention. Heureusement : car une démarche axée sur ses propres intérêts n'est pas innovante, mais se situe simplement dans le prolongement historique du colonialisme et du néocolonialisme.

Dans la formulation actuelle, tous les acteurs peuvent choisir ce qui leur plaît, que ce soient la société civile ouverte et solidaire, l'industrie d'exportation active à l'échelle mondiale ou les milieux nationalistes conservateurs.

Le Conseil fédéral a désormais formulé la question de ses intérêts nationaux de telle sorte qu'ils semblent moins suspects. Il s’éloigne d'une position qui pouvait potentiellement déboucher sur une politique « Switzerland First », et se rapproche d’une compréhension plus ouverte de la politique de développement. Cette évolution reflète certainement aussi la poussée politique de la gauche aux dernières élections. La pression forçant les autres à justifier leurs positions ne vient plus exclusivement du centre droit, contrairement à la précédente législature.

Alors tout va bien ? À vrai dire non : la boîte de Pandore des intérêts suisses au premier plan de la coopération internationale sera difficile à refermer. Ce débat a notamment éclipsé une discussion beaucoup plus importante : à quoi ressemble au juste une politique de développement durable innovante, qui laisse enfin son héritage colonial derrière elle ?

Sur la base de notre expérience dans la coopération internationale en matière de santé, nous voyons trois piliers sur lesquels il faudrait travailler en vue du message 2025 :

1) Une forte implication de la recherche dont le rôle ne se réduit pas à la mesure d'impact, mais qui doit être associée à la recherche sur les barrières à l’accès.

2) Des mesures plus radicales pour assurer la cohérence entre les différents domaines politiques, afin que la Suisse puisse apporter une contribution globale à l'élimination des structures d'inégalité et d'injustice à l'échelle mondiale.

3) Un rôle pionnier dans les institutions multilatérales en faveur d’une politique globale qui préserve les conditions de vie des générations futures sur la planète.

Telles seraient les étapes pour une politique de développement innovante qui devrait commencer maintenant. Et tout d’abord, la Suisse, en tant que pays riche, doit atteindre l'objectif minimal d'investir 0,7 % de son produit national brut dans la coopération internationale.