L'insuline : un médicament vital, jouet d'une industrie à but lucratif
Photo by Sam Moqadam on Unsplash

Dans cette même rubrique, nous lisions il y a quelques semaines sous la plume du Prof. Tanner l’explosion de la consommation de sucre à travers le monde et les conséquences qu’elle entraîne, notamment pour les populations fragilisées ou démunies.

Si la consommation de sucre est l’une des causes de l’accroissement vertigineux du nombre de personnes diagnostiquées avec un diabète de type II, qu’en est-il de l’accès aux soins et au traitement lorsqu’il devient nécessaire ? Une question simplement vitale lorsqu’il s’agit du diabète de type I !

L’Insuline : un médicament essentiel à la survie de nombreuses personnes

Dans le monde 420 millions de personnes sont diabétiques, parmi celles-ci nombreuses sont celles qui doivent contrôler leur glycémie avec de l’insuline. Ces personnes dépendent pour leur survie d’un accès abordable et continu à ce produit. Et ceci même en cas de crise, de conflit ou dans un pays où le système de santé est fragilisé. Faute d’accès à ce traitement la maladie provoque de nombreuses complications ainsi que des décès prématurés. On estime aujourd’hui que 50% des personnes avec un diabète de type II dans le monde n’ont pas accès à l’insuline dont ils auraient besoin.

Lorsque la sentence tombe, plusieurs pistes thérapeutiques doivent être envisagées. Pour le type II, les plus triviales sont les changements d’habitudes alimentaires et le recours à l’exercice physique. Malheureusement, un changement de mode de vie peut s’avérer insuffisant. Au-delà, une prise en charge médicamenteuse devient nécessaire, il s’agit alors de contrôler la glycémie par injection d’insuline. Un traitement généralement prescrit à vie. Pour le diabète de type I, l’insuline est simplement la seule option thérapeutique.

Il existe aujourd’hui essentiellement deux types d’insuline sur le marché : les insulines humaines et les analogues de l’insuline. Toutes deux sont le fruit du génie génétique.

Le prix de ces insulines est en soit un obstacle, viennent s’y ajouter d’éventuels « biens et services complémentaires » indispensables, soit un suivi médical, des seringues pour les injections, des glycomètres et des bandelettes glycémiques dont les coûts pourront constituer une barrière supplémentaire. Dans certains cas, il faut encore y ajouter les coûts d’accès géographique, lorsqu’il faut se rendre dans un centre urbain pour pouvoir acquérir le traitement.

"On estime aujourd’hui que 50% des personnes avec un diabète de type II dans le monde n’ont pas accès à l’insuline dont ils auraient besoin."
Des étudiants de l'école de pharmacie et des sciences de la santé Thomas J. Long ont proposé des examens sanguins et des tests de glycémie gratuits aux clients de trois salons de coiffure de Stockton, en Californie. Photo: Patrick Giblin/flickr, CC BY-NC 2.0
Des étudiants de l'école de pharmacie et des sciences de la santé Thomas J. Long ont proposé des examens sanguins et des tests de glycémie gratuits aux clients de trois salons de coiffure de Stockton, en Californie. Photo: Patrick Giblin/flickr, CC BY-NC 2.0

La règle des producteurs

Le fait que trois compagnies pharmaceutiques produisent près de 90% de l’insuline fabriquée à l’échelle mondiale donne une idée du pouvoir que celles-ci ont pour imposer leurs conditions. Les économistes appellent une telle situation un oligopole, caractérisé par un petit nombre d’offrants face à un grand nombre de demandeurs. Bien qu’ils soient nombreux, les patients dépendants de l’insuline pour leur survie ne sont pas à même de faire contrepoids face aux mastodontes que sont Novo Nordisk, Eli Lilly et Sanofi et aux règles qu’ils ont réussi à constituer.

Bien qu’on estime qu’il est possible de produire et vendre de façon profitable des analogues de l’insuline à un prix d’environ CHF 100,- par patient et par année, les analogues de l’insuline sont aujourd’hui plutôt vendus au triple de ce prix.

Un « accès universel » - ou même simplement un accès équitable - à l’insuline ne sera pas atteint en laissant le « marché » fonctionner selon une logique commerciale. Tant qu’existeront des positions dominantes parmi les fabricants, il conviendra de réguler le marché et de plaider pour réduction des marges, voire d’imposer des prix correspondants aux coûts engendrés par sa fabrication et sa distribution – comme cela serait en théorie le cas dans un marché de concurrence, où la marge bénéficiaire est strictement réduite.

"Bien qu’ils soient nombreux, les patients dépendants de l’insuline pour leur survie ne sont pas à même de faire contrepoids face aux mastodontes que sont Novo Nordisk, Eli Lilly et Sanofi et aux règles qu’ils ont réussi à constituer."
Timbre CHF 1.00 «100 ans de l'insuline». Photo: © postshop.ch <br>
Timbre CHF 1.00 «100 ans de l'insuline». Photo: © postshop.ch

La Suisse ne doit plus rester les bras croisés

Bien qu’aucun fabricant d’insuline ne soit établi sur le territoire national, les mesures que l’on peut encourager en Suisse et depuis la Suisse sont les suivantes :

  1. inviter le gouvernement fédéral à soutenir les initiatives internationales de lutte contre le diabète, comme il le fait pour d’autres fléaux comme le VIH, la tuberculose, le paludisme,
  2. encourager et soutenir la production et la distribution d’insuline par des acteurs socialement engagés et acceptant de fournir à prix coûtant,
  3. soutenir la mise-en-place de régulations de marché qui visent à contrer les comportements oligopolistiques ainsi que la réduction de politiques fiscales nuisibles
  4. encourager la venue sur le marché de producteurs additionnels et de produits bio similaires qui pourraient stimuler la concurrence,
  5. plaider la cause des personnes avec le diabète auprès des trois fabricants dominants, les inviter à renoncer à leur stratégies de brevetage du matériel d’injection et bien sûr
  6. soutenir la mise en œuvre de la « couverture universelle » de santé.

La politique extérieure en matière de santé de la Suisse thématise depuis plusieurs années les maladies non-transmissibles. Elle se doit maintenant de prendre des mesures concrètes pour un accès universel à l’insuline. Ce sera une belle reconnaissance pour le centenaire de la découverte de l’insuline que nous venons de célébrer.

Thomas Vogel
Thomas Vogel est un économiste de la santé et un spécialiste de la santé publique disposant de plus de 25 ans d'expérience professionnelle en tant que consultant, coach et formateur. Il travaille autant comme directeur de projet pour le Service de médecine tropicale et humanitaire (SMTH) des Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG) qu’en tant que consultant indépendant dans le secteur socio-sanitaire. Il a accompagné des projets en Europe de l'Est, dans la CEI, dans divers pays d'Afrique, au Moyen-Orient ainsi qu'en Asie du Sud-Est. La plupart des projets de développement dans lesquels il est impliqué ont pour objectif de renforcer les systèmes de santé locaux et leurs prestations. En outre, il est ou a été impliqué dans des activités d'enseignement à l'Université de Lausanne, de Genève, de Neuchâtel, l'Université de la Charité à Berlin, à l'Institut Tropical et de Santé Publique Suisse, l'Université de Bâle ou encore auprès de l'autorité de santé de Dubaï. Pendant 10 ans, il a présidé le comité de Medicus Mundi Suisse - un réseau d'ONG suisses actives dans la coopération internationale en matière de santé. Enfin, il est membre du conseil d'experts de la Société suisse de santé publique (Public Health Schweiz). Contact: thomas.vogel@internationalhealth.ch