La pharma pour tous : rectifier l’image de l’industrie pharmaceutique
Vient de paraître : Beat Ringger: La pharma pour tous, 236 pages, Rotpunktverlag Zurich. Disponible en librairie (en allemand)


Il faut que cela change. Les produits développés avec les fonds publics doivent être sécurisés pour la société par des brevets ouverts. Les prix doivent être fixés sur la base des coûts effectifs. Et il faut une pharmacie pour tous, un regroupement de laboratoires publics et d’entreprises à but non lucratif qui mette en place les capacités nécessaires pour rompre l’oligopole de Big Pharma.


Des prix astronomiques

Le Zolgensma, le nouveau médicament de Novartis contre l’atrophie musculaire spinale, coûte, par traitement, plus de 2 mio. de CHF. Les traitements anticancéreux qui s’étendent souvent sur plusieurs années, atteignent des coûts globaux de 500 000 CHF ou plus. Pour les médicaments à plus large utilisation (comme le Sovaldi, le Maviret contre l’hépatite C), des dizaines de milliers de Francs sont exigés – pour des coûts de production inférieurs à 200 CHF.

Le graphique ci-après montre l’étendue des hausses des prix en Allemagne. La courbe en pointillées est exceptionnelle: ce sont les prix des médicaments qui sont arrivés sur le marché ces 18 derniers mois. Leur coût par boîte est monté en flèche, et, en seulement trois ans, il est passé de moins de 5000 euros à plus de 40 000 euros. Ceci a l’effet d’une bombe à retardement pour les soins de santé de tous les pays, dans l’hémisphère Sud et désormais également dans l’hémisphère Nord: de plus en plus souvent, les patients et les patientes se voient refuser des traitements avec les meilleurs médicaments possibles et ce, pour des raisons financières.


Données pour le marché allemand.Source : « La pharma pour tous », p. 72 / Impression d’écran, disponible en format pdf <br>
Données pour le marché allemand.Source : « La pharma pour tous », p. 72 / Impression d’écran, disponible en format pdf

Titre du graphique : Développement du prix moyen de la boîte par segment de marché, de 2011 à 2020

Les produits développés avec les fonds publics doivent être sécurisés pour la société par des brevets ouverts.

Les résistances aux antibiotiques : la prochaine pandémie est une réalité

Les antibiotiques luttent contre des agents pathogènes bactériens, comme par exemple, les responsables de pneumonies, de la tuberculose, du choléra, de la gangrène, du typhus et de beaucoup d’autres encore. Mais l’utilisation inappropriée des antibiotiques d’une part, la pollution des eaux naturelles par les fabricants de substances actives d’autre part, ont largement favorisé le développement de résistances. Le nombre d’agents pathogènes qui sont devenus résistants aux antibiotiques traditionnels habituels ne cesse d’augmenter. Entre-temps, 4,95 mio. de personnes décèdent chaque année, dans le monde, de germes résistants aux antibiotiques et avec ces derniers, la tendance est en rapide augmentation. Par comparaison : le SarsCov2 a fait pour chacune des années 2020 et 2021 près de 10 mio. de victimes.

Mais il y a une bonne nouvelle : le réservoir de mise au point de nouveaux antibiotiques est grand. Parmi les 8000 antibiotiques naturels identifiés, comme le font, par exemple, les champignons pour se protéger des maladies, seulement une centaine sont utilisés à des fins médicales. Et une mauvaise: les groupes pharmaceutiques se sont largement retirés du développement des antibiotiques parce qu’il est trop peu rentable.

Les groupes pharmaceutiques se sont largement retirés du développement des antibiotiques parce qu’il est trop peu rentable.

Des bénéfices de nature préoccupante

Le secteur pharmaceutique est considéré comme étant le secteur le plus rentable à l’échelle mondiale. Pour les grands groupes pharmaceutiques, la marge bénéficiaire s’élève en moyenne à 25%, et une marge bénéficiaire des activités de base de 40% est visée (c’est ce que communique officiellement Novartis). Toutefois, une partie croissante de ces profits n’est plus investie dans des activités pharmaceutiques, mais est employée pour des opérations financières comme pour des rachats d’actions : rien qu’en novembre et en décembre 2021, Roche et Novartis ont racheté ensemble des actions propres d’une valeur de 34 milliards de CHF et les ont ensuite annulées. Les cours des actions restantes doivent être gonflés et des bénéfices exceptionnels, s’élevant à des milliards et exonérés d’impôts, être attribués aux actionnaires. De ce fait, les groupes pharmaceutiques sanctionnent leurs propres affirmations avec des mensonges selon lesquels les prix élevés des médicaments sont nécessaires pour payer la recherche et le développement de nouveaux médicaments.

Pénuries et retards de livraison

La crise des médicaments recèle encore de nombreux autres aspects, comme par exemple, la hausse constante des pénuries ou même l’absence totale de livraison pour les médicaments pour lesquels la protection par brevet ne s’applique plus. La raison : ces médicaments sont peu rentables par rapport aux perspectives élevées de profits. Si ensuite, lors de leur fabrication, n’importe quel problème surgit – par exemple un lot vicié de constituants de substances actives, alors de nombreux producteurs et productrices arrêtent ensuite complètement leur fabrication.

Pendant des décennies, on a essayé de venir à bout des grands groupes pharmaceutiques et ce, avec des réglementations. En vain. C’est pourquoi une nouvelle stratégie est de mise.
Source : « La pharma pour tous », p.102 / Impression d’écran, disponible en format pdf<br>
Source : « La pharma pour tous », p.102 / Impression d’écran, disponible en format pdf

Titre du graphique : Nombre des substances actives concernées par les pénuries pour la Suisse, 2016-2019


La pharma pour tous, Sandoz pour tous

Pendant des décennies, on a essayé de venir à bout des grands groupes pharmaceutiques et ce, avec des réglementations. En vain. C’est pourquoi une nouvelle stratégie est de mise : l’oligopole de Big Pharma doit être brisé avec un regroupement non lucratif d’instituts et d’entreprises pharmaceutiques. Il faut des instituts de recherche, des installations de production et de distribution qui sont en mesure, ensemble, de développer, de produire et de distribuer dans le monde les médicaments nécessaires, et ce hors des contraintes de bénéfices et des perspectives de profits du secteur pharmaceutique privé.

Aujourd’hui déjà il existe une pluralité de tels acteurs et de telles actrices sans but lucratif qui, toutefois, ne fonctionnent pas de manière regroupée. Parmi ces derniers, on compte par exemple le National Institutes of Health aux États-Unis (budget annuel de 40 milliards de dollars des États-Unis), la Drugs for Neglected Diseases Initiative DNDi, le Global Antibiotic Research and Development Partnership GARDP, la Pharmacie cantonale de Zurich et beaucoup d’autres encore.

La Suisse est un site phare du secteur pharmaceutique. Il n’existe aucun autre pays dans lequel la contribution de cette branche à l’économie nationale est aussi significative qu’en Suisse. Outre les groupes helvétiques Roche et Novartis, nombre d’autres groupes ont des succursales importantes ici. À cela s’ajoutent des douzaines de petites et moyennes entreprises pharmaceutiques qui sont des fournisseurs ou des start-ups. L’OMS a son siège à Genève, ainsi que des organisations telles que la DNDi ou le GARDP. De ce fait la Suisse possède un potentiel élevé de savoir-faire, de réseautage et de personnel qualifié pour prendre en main le projet d’une « association-pharma-pour tous ».

Une occasion particulièrement bienvenue se présente actuellement parce que Novartis veut se débarrasser de sa division générique interne (Sandoz). C’est pourquoi, le secteur public doit reprendre Sandoz et en faire la colonne vertébrale d’un regroupement pharmaceutique à but non lucratif actif globalement. C’est avec de telles étapes que l’industrie pharmaceutique réussira à passer du statut d’entité lié à la finance à celle à but non lucratif.

L’oligopole de Big Pharma doit être brisé avec un regroupement non lucratif d’instituts et d’entreprises pharmaceutiques. Il faut des instituts de recherche, des installations de production et de distribution qui sont en mesure, ensemble, de développer, de produire et de distribuer dans le monde les médicaments nécessaires, et ce hors des contraintes de bénéfices et des perspectives de profits du secteur pharmaceutique privé.
Beat Ringger
Beat Ringger est un auteur et journaliste indépendant. De 2004 à 2020, il était secrétaire dirigeant du laboratoire suisse d’idées « Réseau de réflexion » qui pose un regard critique sur la société (www.denknetz.ch). Ses dernières publications : Das System Change Klimaprogramm (2019) - Le programme climat system change - Die Service public Revolution (2020, de concert avec Cédric Wermuth) - La révolution du service public - Soziale Sicherheit Für alle und für alle Fälle (2022, de concert avec Ruth Gurny) - La sécurité sociale pour tous et pour tous les cas - ainsi que Pharma fürs Volk (2022) - La pharma pour tous. Email