Regards croisés sur les activités au Bénin, en Palestine et en Grèce

Adapter le support psycho-social aux réalités du terrain

De Clément Akpakla, Khouloud Bahar et Aliki Panagiotidou

La prise en charge de la santé mentale représente pour Médecins du Monde Suisse (MdM) un des leviers fondamentaux de sa mission, l’amélioration de l’accès à la santé pour les plus vulnérables. Afin de répondre au mieux aux conditions des bénéficiaires, MdM Suisse adapte le support psycho-social dans chaque contexte. Avec des jeunes filles-mères au Bénin, avec les jeunes ex-détenus et leur famille en Palestine et avec les réfugiés en Grèce, les équipes expliquent comment ils ont innové pour mettre en place un soutien réellement efficace.

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Adapter le support psycho-social aux réalités du terrain

La Maison du Soleil au Bénin. (Photo: Pierre-William Henry/MdM Suisse)

 

Prise en charge holistique des mères mineures victimes de violences au Bénin

La Maison du Soleil à Cotonou est un lieu de prise en charge holistique de filles qui ont un enfant ou vivent une grossesse non désirés. Référencées par la police des mineurs, les bénéficiaires sont reconnues comme des filles à risque ou victimes de violence. Ce lieu pilote est le deuxième centre reconnu officiellement comme Centre d’Accueil et de Protection de l’Enfant par l’Etat béninois.

Les activités de la Maison du Soleil contribuent à l’amélioration de la santé de cette population particulièrement vulnérable en leur offrant un lieu d’accueil et de prise en charge adapté et multidisciplinaire. Le suivi global, à la fois social, éducatif, psychologique, médical et juridique, représente le cœur de notre réponse dans le contexte béninois. En effet, malgré l’existence de lois et d’une prise de conscience du caractère inacceptable des violences basées sur le genre, 69% des femmes béninoises disent avoir subi au moins une fois dans leur vie une violence et la plupart des auteurs de ces délits ne sont pas punis.

Les filles accueillies à la Maison du Soleil sont des mineures âgées de 13 à 17ans, mères d’un enfant non désiré. Elles proviennent souvent d’un milieu familial à bas revenu, violent ou non protecteur. Elles présentent un niveau scolaire faible ou absent et méconnaissent leurs droits. Elles souffrent de plusieurs troubles : du comportement, du sommeil, de l’attention, troubles alimentaires, mais aussi de déni du corps, d’hallucinations, de pensées suicidaires ou d’énurésie. Elles peuvent également être touchées par des infections sexuellement transmissibles.

Le support psycho-social des filles de la Maison du Soleil se fait par un accompagnement individuel ainsi que par des groupes de parole, au centre ou avec la famille. Les prises en charge psychologique et sociale sont coordonnées conjointement par un psychologue et par une assistante sociale afin d’offrir une relation d’aide pertinente et efficace. Ce soutien psycho-social s’intègre dans un suivi global des jeunes filles qui sont appuyées également sur le plan médical, juridique et professionnel.

Selon un sondage auprès des bénéficiaires, ces dernières déclarent que leur séjour au centre a considérablement et positivement changé leur vie. Elles ont regagné confiance, appris un métier et peuvent exercer une activité génératrice de revenus. Leur dignité humaine et féminine est recouvrée à la fin du séjour, cependant les violences à leur encontre persistent.


En Palestine, briser l’isolation avec un groupe de paroles pour les mères

En Palestine, les mères de familles supportent les inquiétudes de leurs proches en silence. Un groupe de paroles libre proposé par nos équipes leur permet de sortir de cette isolation.

Nous menons des activités de soutien psycho-social pour les jeunes ex-détenus et leurs familles dans le village de Beit Ummar et dans le camp de réfugiés d’Al Arroub au sein du gouvernorat d’Hébron depuis 2015. Dans une région où les affrontements entre la population palestinienne et les forces de défense israéliennes sont fréquents, le risque de détention des enfants est élevé. Les mères y sont confrontées à la menace ou aux conséquences de la détention de leurs enfants ou de leur mari, le plus souvent en silence : Dans le foyer, le rôle des femmes palestiniennes est d’écouter et de prendre soin de leurs proches. Elles ne partagent que peu leurs émotions, ni au sein de leur famille ni avec les autres femmes.

Au contact de ces mères, nous avons constaté qu’elles souffrent de stress aigu, d’hyperexcitation et d’anxiété. Elles expriment des sentiments de colère, d’isolation et de peine intenses. Elles se sentent déprimées et ont perdu espoir, ce qui les empêche de créer un environnement positif au sein de leur foyer. Au fil des rencontres, il est apparu que le meilleur moyen de les soulager était de mettre en place et d’animer un groupe de paroles. Parler de leurs sentiments et partager leurs émotions sans être jugées représente pour elles un soutien réconfortant et positif. Par ce processus thérapeutique collectif, elles comprennent qu’elles ne sont pas seules et que d’autres femmes traversent les mêmes épreuves.

Nous organisons ces groupes de paroles une fois par semaine avec les mamans de Beit Ummar et d’Al-Arrub. Les sessions sont libres, pour un maximum de 15 participantes. Ces groupes de paroles constituent un endroit sûr, un moment durant lequel les femmes peuvent parler librement et s’aider entre elles. Elles ressentent la force que cela procure d’être enfin écoutées avec attention et sans jugement, et se sentent valorisées lorsqu’elles expérimentent cette sensation. Au sein du groupe de paroles, elles peuvent enfin partager leurs émotions, briser l’isolation et retrouver de l’espoir en l’avenir. Ce groupe de paroles est leur espace, le seul moment où elles peuvent vivre pour elles-mêmes. Elles le disent ainsi : « C’est notre moment à nous ».

S’il n’y a que peu de centres et de ressources pour la santé mentale en Palestine, nous sommes convaincus que des groupes de paroles de ce genre peuvent créer des communautés plus saines. Le bien-être des mamans et leur regard positif sur la vie ont un impact fondamental sur les générations futures.

 

Activités pendant le groupe de paroles pour les mamans en Palestine (MdM Suisse)

 

La thérapie par l’expression artistique face au fardeau de l’exil en Grèce

En coopération avec Médecins du Monde Grèce, nous menons des activités de soutien psycho-social pour les réfugiés qui se trouvent dans la région de Thessalonique. Parmi les différentes activités mises en place, la création d’une exposition d’œuvres d’art baptisée « Pain & Hope » a permis aux participants de s’exprimer en partageant les épreuves qu’ils ont traversées. Donner l’opportunité aux bénéficiaires d’exprimer leurs talents, pensées et sentiments constitue un des facteurs fondamentaux pour un soutien psycho-social de qualité.

L’accès aux services publics de santé mentale est rarement suffisant pour les réfugiés. Les activités psychosociales alternatives telles que les activités artistiques bénéficient à cette population particulièrement vulnérable de par des conditions de vie difficiles : les déplacements constants, les souffrances de la guerre et de l’exil, forment un lourd fardeau que doivent porter les réfugiés que nous rencontrons. Ces blessures psychologiques nous ont poussé à intervenir dans le domaine de la santé mentale avec des activités de soutien psycho-social depuis le lancement de nos activités en Grèce en 2015, dans plusieurs camps et résidences urbaines dans la région de Thessalonique.

Notre équipe MdM pour le soutien psycho-social est constituée de psychologue, d’un psychiatre et de travailleurs sociaux. Sur nos différents lieux d’intervention, nous avons mis en place des consultations individuelles et sessions familiales ou de groupe, ainsi que des activités thérapeutiques variées telles que la création d’une exposition d’œuvres d’art. Conçue pour encourager la création d’œuvres par les réfugiés résidants dans la région de Thessalonique, cette exposition a permis de valoriser les stratégies que les participants ont mis en place face à l’adversité, dans les situations de crises et les épreuves traversées. De plus, elle créé et renforce les liens entre les réfugiés et les communautés locales.


Les artistes et créateurs de l’exposition « Pain & Hope » et l’équipe de soutien psychosocial (MdM Suisse)

 

Les participants ont organisé, créé et mis en place l’exposition de leurs propres œuvres. En s’exprimant par la peinture, mais aussi par la poésie, la danse et le dessin spontané, 17 hommes et femmes adolescents et adultes, réfugiés ou demandeurs d’asile, ont créé des œuvres qui incarnent leur expérience et leur histoire de manière artistique. Elles ont ainsi pu développer un sens de l’identité et préserver leur autonomie en prenant le contrôle sur leurs expériences traumatisantes. Le processus de création artistique a un immense potentiel à améliorer la résilience, en développant le sens de l’appartenance des bénéficiaires et en canalisant leurs émotions négatives. D’après un participant, « dessiner, c’est ma méthode pour respirer, c’est mon oxygène ».

L’exposition a pris ses quartiers dans deux lieux de Thessalonique entre mars et avril 2017. Après un passage à Prague en mai, nous étudions la possibilité de faire voyager l’exposition, notamment en Suisse. À Thessalonique, nous avons débuté une deuxième session de thérapie par l’art au mois de mai, en explorant d’autres formes d’expression artistique.

 

Affiche du vernissage de l’exposition « Pain & Hope » à Thessalonique

Retrouvez la page facebook de l’événement : https://www.facebook.com/ExpressiveArtExhibition/