De Philippe Neyroud , Marisol Hofmann et Thomas Niederberger
Active en Bolivie comme au Pérou, l’organisation Comundo constate, avec ses coopérant·e·s Marisol Hofmann et Thomas Niederberger, tous deux journalistes, l’impact en termes de santé publique provoqué ici par l’usage indiscriminé et abusif de pesticides dans l’agriculture, là par les dégâts environnementaux dus à l’extraction minière. Deux réalités et un point commun : l’implication avérée d’entreprises multinationales suisses.
Marisol Hofmann est engagée depuis 2 ans aux côtés du Groupe de Travail Changement Climatique et Justice (GTCCJ) à Santa Cruz, capitale économique de la Bolivie. « La santé est un droit fondamental. Or l’usage indiscriminé de pesticides est une atteinte à ce droit » lui confie indignée Adriana Montero, coordinatrice régionale du GTCCJ. Ce réseau promeut la protection de l'environnement et le développement durable, et vient de conclure une enquête sur les conséquences de l’exposition aux pesticides sur la santé dans quatre communes rurales du département, dont l’économie repose grandement sur l’agro-industrie.
Il en ressort qu’en deux décennies, l'importation de pesticides en Bolivie a presque sextuplé, selon les informations collectées par l’un de ses membres, la Fundación Solón. Sans compter les produits de contrebande qui représenteraient jusqu’à 35 % des pesticides commercialisés. Et, selon la revue digitale La Brava, 13 des 15 pesticides les plus importés en 2023 sont interdits dans de nombreux autres pays car considérés comme très dangereux. En tête de liste : le paraquat, le glyphosate ou encore le spirodiclofène.
Des produits destinés à l'agriculture extensive mais aussi utilisés par les petites exploitantes, population très vulnérable car davantage exposée à des produits peu fiables et peu sensibilisée aux risques. « Un tiers des agriculteurs n’utilisent pas de protection durant l’application. Et les conteneurs vides de ces produits sont souvent utilisés à d'autres fins sans lavage spécifique, j’ai même vu des enfants jouer avec… », relate Gustavo Paredes, médecin épidémiologiste en santé publique.
« L'utilisation inadéquate de ces produits a des effets à court et à long terme. Une exposition directe ou indirecte peut entraîner des intoxications aiguës et chroniques et des troubles allant jusqu’à des problèmes neurologiques ou oncologiques, la leucémie, l'anémie … A San Pedro par exemple, on en a constaté un taux de diabète de 15% chez les plus de 45 ans, près de 3 fois plus élevé que la norme internationale ».
Enceinte de Fran, elle puisait l'eau dans une rivière qui servait alors à l’élevage de truites. « On nous a dit que bien plus tard qu’elle n'était pas potable », raconte-t-elle. Aujourd'hui, elle est persuadée que c'est pour cela que Fran est handicapé. À raison…
Autre combat mais mêmes constats pour Thomas Niederberger, coopérant de Comundo auprès de CooperAcción au Pérou, où il soutient les communautés autochtones dans leur combat pour une exploitation minière respectueuse de l’environnement et réglementée. Les zones exploitées paient en effet un lourd tribut et se vident de leur population, car l'extraction est extrêmement destructrice pour leur environnement et leur santé et fait fi de leurs droits.
Il a rencontré à Espinar Cristina Choque et son fils Fran, à proximité de la mine de cuivre de Tintaya-Antapaccay, propriété de Glencore. Cristina a grandi ici et vécu tous les changements depuis l’ouverture de la mine, vaste comme le Liechtenstein, il y a 40 ans. Enceinte de Fran, elle puisait l'eau dans une rivière qui servait alors à l’élevage de truites. « On nous a dit que bien plus tard qu’elle n'était pas potable », raconte-t-elle. Aujourd'hui, elle est persuadée que c'est pour cela que Fran est handicapé. À raison…
Il est en effet prouvé que la majeure partie de la population d'Espinar présente des taux excessifs de métaux lourds dans le sang, même si Glencore a toujours mis en cause la « minéralisation naturelle » du sol. Car depuis peu une analyse complète a pu être réalisée, commanditée par l’autorité environnementale nationale. CooperAcción y a eu accès, et son rapport confirme que « les eaux d'infiltration provenant du terril de Tintaya affectent la composition chimique des eaux souterraines. »
Et, pêle-mêle, l’étude 1 de mentionner « des manquements graves de l’entreprise aux droits fondamentaux d’information et de consultation dont disposent les populations indigènes », une « contamination des eaux et du corps des populations […] et un risque grave pour la santé publique : la consommation des eaux peut provoquer anémie et dénutrition chronique chez les enfants de moins de 5 ans », « une exposition à des niveaux dangereux en arsenic, cadmium, manganèse, plomb, cuivre, mercure, thallium et diverses chlorures », ou encore « un pH des eaux mesuré entre 7.7 et 9 » !
Il s'agit maintenant d’en diffuser les résultats. Ils permettront aux personnes concernées d’intenter une action en justice pour obtenir un dédommagement. Même si les rouages de la justice péruvienne sont lents, le parcours juridique semé d'embûches, et les mécanismes internationaux de responsabilité des entreprises peu efficaces.
Il est en effet prouvé que la majeure partie de la population d'Espinar présente des taux excessifs de métaux lourds dans le sang, même si Glencore a toujours mis en cause la « minéralisation naturelle » du sol.
Et, pêle-mêle, l’étude de mentionner « des manquements graves de l’entreprise aux droits fondamentaux d’information et de consultation dont disposent les populations indigènes », une « contamination des eaux et du corps des populations […] et un risque grave pour la santé publique.
Des pays comme la Bolivie ou le Pérou, où les réglementations sont plus faibles et les risques donc plus élevés, sont les terrains de jeu privilégiés des géants de l’agrochimie ou de l’extraction minière. Une enquête inédite de Public Eye et Unearthed révèle par exemple que les cinq plus grosses sociétés agrochimiques au monde, dont la suisse Syngenta, y réalisent un tiers de leurs ventes de pesticides avec des substances extrêmement toxiques pour la santé et l’environnement. De son côté, l’extraction minière et le négoce des matières premières génère des sommes colossales : on estime à plus de 10 milliards de dollars les revenus générés par les entreprises minières suisses Glencore et Xstrata depuis 2006 à Espinar, et à quelque 9 milliards les bénéfices nets qu’elles en ont retiré.
Les efforts déployés par les organisations de la société civile telles que le GTCCJ ou CooperAcción ne sont pas suffisants pour protéger la santé de la population et l’environnement. D’où l’importance d’exiger davantage de cohérence aux politiques ainsi que d’éthique et de responsabilité aux banques et aux entreprises, pour qu’elles respectent les normes environnementales et sociales et dédommagent les victimes. Et l’argent ne manque pas,..
Des pays comme la Bolivie ou le Pérou, où les réglementations sont plus faibles et les risques donc plus élevés, sont les terrains de jeu privilégiés des géants de l’agrochimie ou de l’extraction minière. Une enquête inédite de Public Eye et Unearthed révèle par exemple que les cinq plus grosses sociétés agrochimiques au monde, dont la suisse Syngenta, y réalisent un tiers de leurs ventes de pesticides avec des substances extrêmement toxiques pour la santé et l’environnement.
Organisation de la coopération au développement par l’échange de personnes (CEP), Comundo soutient ses organisations partenaires locales en Amérique latine et en Afrique en recrutant, dans le Nord global, des personnes qualifiées et motivées pour collaborer sur place à atteindre les objectifs qu’elles ont identifiés. Ces coopérantes sont au cœur de notre engagement pour plus de justice sociale et de meilleures conditions de vie pour les enfants, les adolescentes, les jeunes et les personnes âgées défavorisées. Ils sont nos principaux acteurs du changement pendant leur mission et au-delà, en Suisse également.